L’occasion faisant le larron ou plutôt l’aphorisme, ma chronique de ce jour ira à l’art du peu, à l’art du bref.
Il se trouve en effet qu’on fera bref à Ménilmontant* ces 22, 23 et 24 mars grâce à Claire Cecchini de la librairie L’Officine qui accueille un “Week-end cosmopolite de l’Aphorisme et des formes brèves” afin de mettre à l’honneur un genre peu fortuné (et qui n’enrichit certes pas ses illustrateurs). L’initiateur et maître d’œuvre de cet événement est Paul De Laboulaye (dont le nom de plume est Paul Lambda) qui cultive depuis longtemps cet amour du bref (il “écrit des miettes et, les jours heureux, des confettis”) avec des auteurs comme Georges Kolebka ou Eric Chevillard et bien d’autres dont la liste est ci-dessous** (de nombreux éditeurs dédiés à ce genre seront aussi présents).
J’ai l’honneur d’avoir été convié à ce marathon pour lire un choix d’aphorismes ou plutôt de notes de Jacques Drillon extrait de ses Papiers découpés. Un ensemble considérable de notes comprenant : Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), et les Papiers recollés (initialement parus sur le site de Pierre Assouline La République des livres), tous publiés par les éditions Du Lérot soit :
– Le cul rose d’Awa en 2020,
– Le cure-dent d’Alfred Jarry en 2022,
– Les pinces à linge de Céline en 2023,
– Les asperges de Marcel Proust en 2024.
Si vous ne pouvez rallier les lieux de ce week-end inoubliable, voici le florilège drillonien que je présenterai qui sera suivi d’une sélection des “notes, notules et notulettes” éparses dans les deux volumes de spicilèges que j’ai publiés (Une mémoire qui désire, L’Escampette, 2018 – Un souvenir qui s’ignore, Conférence, 2020).
* 4, rue des Maronites, 75020 Paris.
** Jean-Philippe Querton Mathieu Jaegert Gilles Moraton Laurent Gourlay Vinca Alba Minor Voici Miris Thierry Roquet Bernard Barraud Bernard Bretonnière Patrick Corneau Jean-Luc Bitton Jean-Daniel Botta Denis Billamboz Radu Bata Jean-Louis Bailly Yannis Bougeard Clément Bénech Vincent Vigneron Judith Wiart Olivier Hervy Pierre Barrault Philippe Chauché Pascal Weber Pascale Petit Pierre Stvl Pascal Blondiau Jean Pézennec Jean-Christophe Ditroy Centre Wallonie-Bruxelles Jean-louis Massot Jean-Jacques Nuel Jean-Pierre Otte Ivan O. Godfroid Librairie Wallonie-Bruxelles Mario Alonso Marc Menu Eric Charvet Eric Allard Yves Arauxo Frédéric Schiffter Laurent Albarracin Cadran Ligné Denis Cosnard Joaquim Cauqueraumont Aphori Mirli Editions louise bottu Cactus Inébranlable éditions Editions de l’Arbre vengeur Ramón Eder Labayru
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JACQUES DRILLON
BRÈVES
Dandy de grand chemin.
Trotski tue le ski.
Le Titien aboie, le Caravage passe.
Toute vérité n’est pas bonne à tout faire.
Le mal dominant.
L’Âge d’or s’est mué en Auge d’art.
Le beauf en gelée.
Du porc casher.
Avoir un frère chanoine.
Walkyrie eleison.
Être un mari-couche-toi-là.
Devise : Rester coriace.
MUSIQUE
Musique : ce mot qu’il faudrait toujours écrire en italique, pour le laisser apparaître dans tout son élan.
Personne ne sait combien il y a d’accords de septième diminuée dans le Requiem de Mozart ; mais il suffirait de compter.
L’intelligence d’Einstein structurée comme celle de Mozart.
On ne devient pas mozartien, on le naît.
Amadeus, l’infâme film de Milos Forman, qui prétend montrer que Mozart était un homme comme tout le monde.
Le bassiste Scott LaFaro, qui prenait ses douches bras tendus, de peur que l’eau ne ramollisse les cals qu’il avait aux doigts.
Le son doré de Guilels.
David Oïstrakh le magnifique, avec sa tête d’agent du KGB.
La soprano Kathleen Battle, chanteuse sans grande importance mais persuadée du contraire. Son chauffeur la conduit dans une ville européenne. Elle ne parle pas à son chauffeur ; pour lui demander de baisser la climatisation, elle téléphone à son agent à New York, qui appelle le chauffeur.
Le chef d’orchestre Kurt Masur, qui raconte avoir entendu un jour dans sa voiture la plus belle interprétation de la cinquième symphonie de Schubert. Il se gare, écoute jusqu’au bout, émerveillé. Qui donc dirige si bien ? C’était l’Orchestre Philharmonique de Berlin qui jouait sans chef.
Frans Brüggen, qui voyait dans le vibrato des violonistes d’orchestre un des enjeux de la Guerre froide. Moscou contre New York : c’était à qui vibrerait le plus.
Les mains de violoncelliste de Jacques Chirac.
L’indication la plus fréquente (et de loin), dans Couperin : “Sans lenteur.”
Karajan, qui réclame des toilettes personnelles à Bayreuth. Le chef wagnérien Hans Knappertsbusch commente : « Les autres cabinets sont pour les autres trous du cul. »
La femme chic, bijoux et coiffure plus haut que son cul, au pianiste, après son récital : « Et à part jouer du piano, vous faites quoi comme métier ? »
Samson François, qui ne voulait pas jouer Brahms. Cela lui faisait mal aux doigts rien que d’y penser, disait-il.
Verdi, ridicule. Rossini, laid. Donizetti, stupide. Bellini, niais. Boccherini, assommant. Vivaldi, élémentaire. Corelli, tout juste passable. Paganini, enflé.
Pergolèse, enfantin. Si l’on met à part Scarlatti, plus ibérique qu’italien, on peut affirmer qu’il ne s’est rien passé d’intéressant en musique en Italie entre le XVII siècle et Puccini.
(Suite) En Angleterre, rien depuis Purcell, rien, rien, rien. Si : n’ayons garde d’oublier Benjamin Britten, remarquable pianiste.
LITTÉRATURE
Les inversions. Pour Colette, les femmes sont des “chics types”. Son premier mari, Willy, c’est “La Doucette” ; son deuxième, Bertrand de Jouvenel, c’est “La Sultane” ; son troisième et dernier mari, Maurice Goudeket, a une “peau de satin”.
Le très catholique, très scrupuleux Jacques Rivière, dont la fille était religieuse, le fils moine, et qui, avant d’attraper la typhoïde qui devait l’emporter, a dit à Gide que deux choses seulement l’intéressaient encore, « bien mentir et bien baiser ».
Bossuet, administrant l’extrême-onction à La Rochefoucauld.
Princesse de Clèves. La Fayette, me voilà !
Raymond Roussel, qui prenait ses trois repas d’affilée, pour perdre moins de temps.
Pas une faute de français dans les romans policiers de Fred Vargas.
Nietzsche traduit en auvergnat : Ainsi parlait Zarafouchtra.
Les romans russes d’aujourd’hui : Le journal d’un geek, de Nicolas Google.
Personne ne sait
Pourquoi tous les grands spécialistes de Céline sont des hommes.
Personne ne sait
Ce qu’il fut advenu de la petite madeleine de Proust, privée de son précieux gluten.
Personne ne sait
Si l’on lit parce qu’on est intelligent, ou si l’on est intelligent parce qu’on lit.
Ou les deux. Ou ni l’un ni l’autre.
Proust allant à l’Opéra uniquement pour voir la comtesse Greffulhe monter l’escalier. “Une félicité !”, disait-il.
Celui qui a lu Bouvard, mais n’a pas encore eu le temps de se mettre à Pécuchet.
Julien Gracq, qui s’étonnait qu’on ne lui demande jamais l’heure dans la rue.
Emmanuel Berl, dont tous les gens qui en parlent disent que personne n’en parle.
Le papier bible. Lire un Pléiade à la messe en faisant croire que c’est un missel.
Paulhan et Ponge fouillant dans les poubelles de Valéry pour y trouver quelque brouillon à revendre aux marchands d’autographes.
Cocteau, qui disait qu’il n’y a rien de plus rigolo que de faire lire du Mallarmé à un gendarme.
S’il se présentait une personne désireuse de connaître le fond de mon cœur, je lui conseillerais de lire À la recherche du temps perdu : elle s’en ferait une idée fausse, mais qui vaudrait bien la vraie.
Ceux qui détestent ce que vous écrivez mais vous lisent sans manquer une ligne.
De la figure de proue à la tête de gondole.
Le romancier tenaillé par la fin
MASCULIN/FÉMININ
Féminin, mot masculin.
Les féministes, qui ont le droit de dire “les femmes”, mais l’interdisent aux autres, car ça n’existe pas, “les femmes”.
Mesdames, Messieurs, soyons attentifs ensemble.
Cette femme, fière d’être modeste.
Cette femme qui, pour les Journées du Patrimoine, organise une “Journée de la Matrimoine”.
Un jour de 2007, sur France Culture, l’inénarrable Geneviève Fraisse a parlé des prostituées d’Amsterdam comme étant une majorité de “sans-papières”. C’était culotté. Nous fûmes un certain nombre à lui tirer notre chapelle.
Trans. Un type devenu femme dit : « Je suis une auteure. C’est peut-être prétentieuse de dire ça… » (France Culture, 29 septembre 2015)
La peur d’être abandonnée, travestie en légèreté.
Les femmes de plus en plus jeunes.
Cette femme qui a imité un rire ridicule qu’elle venait d’entendre, et qui, depuis, n’a plus jamais retrouvé le sien.
Le séducteur, qui parle en l’air : – Je n’aime guère les êtres humains.
Sa femme, sarcastique : – Tu aimes les êtres humaines !
Les néoféministes, qui répondent par une phrase unique aux objections qu’on fait à leurs arguties : « C’est un argument qu’on nous ressert depuis cent cinquante ans. » Cette phrase semble leur suffire.
L’origine du monde de Courbet à l’heure de l’épilation intégrale.
Ma mère, l’autrice de mes jours.
Feu mon père, qui pourtant s’est éteint.
L’ÉPOQUE
Les villages médiévaux, les quartiers anciens, absolument vitrifiés par le tourisme. Et il y a des gens qui y vivent encore, comme à Venise. Prions pour eux.
Les somptueuses maisons américaines, immenses, avec piscine(s), billard(s), haras, tennis, et pas un livre.
Les gens qui se répandent dans la presse sur les méfaits de la presse.
Des gens intelligents, élégants, supérieurs, brutalement rendus ridicules, pitoyables, parce qu’on vient de leur couper les cheveux trop court.
Ceux qui ne marchent dans Paris que les jours de grève des transports.
Les vélos d’appartement connectés, qui permettent de faire la course avec d’autres vélos d’appartement connectés.
La chemise toujours neuve des hommes politiques.
Personne ne sait
Pourquoi les gouvernants ne voient pas le bénéfice politique qu’il y aurait à tirer de la sincérité.
Personne ne sait
Pourquoi, depuis que “la parole a été libérée”, il faut faire de plus en plus attention à ce qu’on dit.
Les gens, parfois de haut niveau culturel, sachant distinguer le roman naturaliste du roman réaliste, reconnaître chaque apôtre dans la Cène de Léonard de Vinci, analyser finement une statistique ou le programme économique d’un candidat à la Présidentielle, et qui pourtant disent “Litz” au lieu de Liszt.
Les immenses verres dans lesquels les Américains boivent leur vin, si l’on en croit leur cinéma.
Le “yoga solidaire”.
Le “bracelet électronique” à la cheville / La “montre connectée” au poignet.
Les pauvres, qui sont gros dans les pays riches, et maigres dans les pays pauvres.
Les magazines dont on feuillette les pages, sans jamais rien lire.
Les petits dessins roses ou vert tendre imprimés sur le papier toilette. Même le PQ doit être joyeux, souriant, convivial.
Les barbus qui ne cessent de tripoter leur barbe, en lisant, en conduisant, en parlant.
Des nouvelles de la vie urbaine
Il y avait les soirées. Voici venir les “joirées”, soirées de jour.
C’était mieux avant : le futur avait meilleur goût.
Je n’étais pas tout à fait un vieux con, mais je montrais des dispositions dont j’ai su profiter depuis.
L’unique et universel argument de ceux qui prétendent que c’était “moins bien avant” : l’anesthésie dentaire.
MISCELLANÉES
Le soleil, qui ne nous tient pas rigueur de ce que nous faisons subir à la lumière.
La journée qui vient, comme une toile d’araignée sur la figure.
Le réflexe, en voiture, de baisser la radio quand on cherche sa route.
Apercevoir son visage dans un miroir. Casse-toi pauv’con !
L’impossibilité d’éternuer yeux ouverts – donc de se voir éternuer.
Les huîtres : plus elles sont grosses, plus elles sont chères. Le contraire des légumes, en quelque sorte.
L’été, au petit matin, aller pisser dans l’herbe.
Prendre un café allongé debout.
Rendre la justice, oui, mais de qui la tenait-on ?
Résolution du 1er janvier : regarder la télévision une fois par an, pas moins.
La prévision météorologique la plus brève, la plus élégante, la plus économique et la plus digne de confiance : « Mesdames, messieurs, demain, il fera le même temps qu’aujourd’hui. »
Le bouquet de persil dans un verre d’eau.
Pas assez d’ail. On ne met jamais assez d’ail.
L’amour des lézards pour les lézardes.
L’enquête à mener : « Pourquoi parlez-vous, alors que vous pourriez vous taire ? »
L’ennui
Entendre deux mères qui se parlent de leurs enfants.
La reconnaissance qu’on éprouve à l’égard de qui sait vous admirer sans vous le dire.
Ces gens qui, trop orgueilleux pour vous admirer, préfèrent vous haïr.
Ceux (ou plutôt celles) qui cessent de vous mentir en cessant de vous aimer.
VIEILLESSE
La canne des vieillards, qui ne cesse de glisser et de tomber, par pure insubordination.
En vieillissant :
« Tout se ramollit, tout s’affaisse », dit-elle.
« Tout se ralentit, tout se bouche », ajoute-t-il.
Les hommes qui doivent se lever la nuit pour pisser. Avant que la vieillesse ne soit un naufrage, elle fait lentement dériver. La dérive de l’incontinent.
Le manque de sommeil et l’excès de sommeil, qui mettent dans le même état de malaise.
La délicieuse odeur d’eucalyptus – quand elle ne vient pas d’un suppositoire.
Le chariot de supermarché, comme entraînement au déambulateur.
Des vies qui se terminent par des obstructions, d’autres par des fuites.
La maladie, qui vous condamne à une bienveillance écœurante.
Les vieillards que vous allez voir pour ne pas les abandonner, et qui vous regardent repartir avec soulagement, parce que vous les empêchiez de regarder la télé.
Les vieux couples, qui finissent par lire les mêmes livres.
Ils en parlent devant vous : « Mais si, souviens-toi, on avait lu son dernier, et on n’avait pas trop aimé… »
Nous savons qu’il est désagréable de s’entendre proposer pour la première fois une place assise dans le métro. Cela a été dit, ici même. Nous apprenons plus tard qu’il est encore plus désagréable de l’accepter.
Le jour où l’on dépasse l’âge auquel son père est mort.
« Recueillir son dernier soupir. » Pour en faire quoi ?
La joie qui suit les enterrements. La famille du mort, qu’on découvre avec étonnement, les absents dont on dit du mal, le vin chaud au bistrot du coin, les vieux copains qu’on retrouve… Tu n’as pas changé !
(Dernière note de Les pinces à linge de Céline)
Dans l’ancienne Litanie des saints, on priait Dieu pour qu’il épargne au pécheur “une mort subite et imprévue”.
Puisse-t-Il au contraire me l’accorder, si cela ne Le dérange pas.
Des amis bien intentionnés intriguent pour que l’avenue des Champs-Elysées soit rebaptisée à mon nom. C’est trop d’honneur. Me suffirait ceci, quelque part dans le Xe arrondissement : IMPASSE JACQUES DRILLON
(Jacques Drillon est décédé le jour de Noël, le 25 décembre 2021 à l’âge de 67 ans)
Comme l’écrivait Renaud Machart dans Le Monde au lendemain de sa disparition : « Jacques Drillon était un malpensant au cerveau bien fait, dont l’absence marquera. » Quant à Jérôme Garcin, il l’avait salué sur BibliObs en intitulant son hommage : « C’était notre Mozart »
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PATRICK CORNEAU
Ils clouent sur la croix ta fierté, et il te faut encore leur trouver les clous.
Nous sommes les nouveaux muets, nous secouons le hochet ébréché de la langue. Seuls les aveugles se retournent.
Dans la chambre des bavards des lambeaux de conversation pendent au plafond. Qui redonnera leur poids aux mots ?
Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, tu ne pourrais pas t’égarer.
Quand tu es heureux, tu deviens nerveux et agité. Cela indispose. Alors la sanction ne tarde pas.
Prends toute la mesure de ce que tu n’avais pas compris n’avoir pas compris.
Admire seulement ceux qui ne tombent pas dans le piège tendu par l’admiration des autres.
Dans le clair-obscur qui t’environne, choisit la part de l’ombre. Si tu as eu la faiblesse de t’exposer, sois tranquille, ils ne te voient pas.
Quels “poteaux d’angle” pour délimiter un territoire à soi ?
Ils se regardent à travers leurs cils et se jettent mutuellement des milliers de bouteilles à la mer.
Dans les statues équestres, c’est toujours le cheval qu’il admire.
A force de rester seul dans son cerveau, il perd la tête.
Les fruits défendus mûrissent-ils ou pourrissent-ils ?
Ne serait-ce pas magnifique si le cerisier pouvait manger ses propres cerises ?
Il y a des visages trop tendres pour que le christianisme ait pu y inscrire sa marque. On ne peut pas donner un coup de fouet dans du miel.
Les superlatifs font toujours des blessés en éclatant.
Dans l’environnement quasi totalitaire de la communication et la tyrannie du “tout image”, j’écris pour me déconditionner.
Il est des jours où ce qui vous appartient vraiment, c’est d’être comme des corbillards qui vont partout, sauf au cimetière.
Si possible ne ressembler en rien à ce poète anglais dont Chesterton disait qu’il était obscur parce que ce qu’il s’apprêtait à dire était si clair à ses yeux qu’il n’avait aucune raison de l’expliquer.
Je tiens pour une bénédiction d’avoir été fidèle, avant de le connaître, à ce précepte de Ramón Gómez de la Serna : “n’être pas trop le professionnel de rien”.
Demeurer célibataire à tout prix : le rêve éveillé de tous les enfants irresponsables.
Ce jour-là, il poussait un soupir plus long que d’habitude.
C’est l’heure — pour moi c’était invariablement vers les cinq heures du soir — où tous les enfants sont tristes : ils commencent à comprendre ce qu’est le temps.
Je ne suis pas additionnable avec les autres. Je n’ai pas de pluriel.
Il existe des droitiers contrariés.
La vie est une longue attente – et pourtant je n’apprendrai rien que je ne sache déjà.
Il n’a pas un seul ennemi au monde, certes, mais pas un de ses amis ne l’aime.
Il ne parvenait à se souvenir d’aucune chose à moins qu’il ne l’ait oubliée.
Parce que le timide est souvent nietzschéen, il se faisait l’effet d’être un Zarathoustra pour classes moyennes.
De tous ceux qui n’ont rien à dire, ceux qui se taisent sont les moins désagréables.
Le poids des réponses ne rend pas la question plus profonde.
Seuls les méchants doivent être pardonnés. Les innocents ont le pardon en eux-mêmes.
Le postmoderne : un bateau impassible sur un fleuve ivre.
Quand on vit dans la solution, on ne comprend pas le problème.
L’homme est un roseau pensant, certes ; la femme, parfois, une rosée dansante.
Elle était un peu comme ces enfants qui croient que les autobus et les métros s’arrêtent juste pour eux.
“Je réfléchis” se dit en japonais : je ne cesse de secouer mon propre cœur. Je ne connais pas de meilleure définition de la pensée. Et peut-être est-ce cela être un homme : ne pas cesser de secouer son propre cœur, quoi qu’il puisse en coûter.
La colère doit être comptée au nombre des énergies renouvelables.
Un jour, il se rendit compte qu’il avait atteint cette ligne de partage des ombres quand, dans la vie, on connaît plus de morts que de vivants.
Nous avons nos tombes à buriner – et nous ne pouvons pas émousser nos outils à vous rendre des coups de poignards.
Anguleux, tout en os. Mort, il fera un beau squelette ! Comme disait un moraliste, “arrivé à l’os, n’importe qui est beau”.
Qui sait ? Derrière le lorgnon, il y a peut-être un œil de verre.
L’histoire des visages tournés contre le mur n’a pas encore été racontée.
Illustrations : (en médaillon) montage photographique ©LeLorgnonmélancolique – dans le billet : photographie ©LeLorgnonmélancolique.
Prochain billet bientôt se Deus quiser.
Aux éditions « Cactus inébranlable » je recommande « Opuscule navrant » de Blaise Lesire et son blog Le Marquis de l’Orée. Ça vient de sortir.
Oui, petit livre remarquable dont j’ai parlé dans ma chronique du 20 janvier dernier.
🙂
Je l’avais acheté sur vos recommandations et maintenant je vous le recommande.
On tourne en rond.