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Notes, notules et notulettes (5)

Patrick Corneau

Fonction des citations selon Lambert Schlechter (éminent fragmentologue) : « Elles ne sont ni illustratives ni ornementales, mais ponctuent et focalisent. Amorcent un thème, ou l’approfondissent. Elles me dispensent de dire, en disant à ma place – et sans doute mieux que moi. Elles me mettent hors de moi & en demeure. Me provoquent et me rappellent à l’ordre. M’accompagnent, m’aident à avancer, me contredisent et me confirment. C’est un exercice de modestie. Elles fournissent des mots-clés. Elles me mettent en réseau. » (La Trame des jours, Le Murmure du monde 2 – fragments, 2010)

Philip Roth écrit : « Rendre la nuance, telle est la tâche de l’artiste. Sa tâche est de ne pas simplifier. Même quand on choisit d’écrire avec un maximum de simplicité, à la Hemingway, la tâche demeure de faire passer la nuance, d’élucider la complication, et d’impliquer la contradiction. Non pas d’effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l’intérieur de ses termes, se situe l’être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Il faut lui donner droit de cité. Autrement, on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu’elle aimerait se voir mise en publicité. »

A un journaliste qui lui demandait pourquoi il écrivait si peu Ennio Flaiano répondit : « Cher Monsieur, je n’ai pas de vocation littéraire. J’écris, ce qui est très différent. »

Lorsqu’il avait terminé un livre Giorgio Manganelli disait : « Qui sait ce que j’ai bien pu vouloir dire ? »

Jean Grenier à Georges Perros : « J’ai bien un secret mais je ne sais pas exactement lequel. »

« Je sais que tu ne me parles pas de l’endroit où tu es. » Aussi abstruse qu’un apophtegme lacanien, cette phrase prononcée à l’endroit de l’héroïne d’Hécate et ses chiens de Paul Morand est emblématique du trouble qui nous saisit à la lecture de cette glauque histoire de prédation.

Dans ses Mémoires d’outre-tombe Chateaubriand relève à propos de la révolution de Juillet, ce détail terrifiant : « Les enfants, intrépides parce qu’ils ignorent le danger, ont joué un triste rôle dans les trois journées. À l’abri de leur faiblesse, ils tiraient à bout portant sur les officiers qui se seraient déshonorés en les repoussant. Singes laids et étiolés, libertins avant le pouvoir de l’être, cruels et pervers, ces petits héros des trois journées se livraient à des assassinats avec tout l’abandon de l’innocence. »

« L’abus de l’esprit dessèche le cœur. Peu de sociétés nous offrent plus d’exemples de sécheresse de coeur que cette société du XVIIIe siècle malgré son culte de la sensibilité et son engouement pour toutes les théories humanitaires. » André Bellessort, « Le salon de Madame du Deffand » – Conférences du Musée Carnavalet, 1927.

Grimm a imaginé entre Mme du Deffand déjà aveugle et Pont-de-Veyle – un ami d’enfance de la marquise qui lui resta toujours fidèle –  un dialogue qu’on pourrait croire authentique. 
« Pont-de-Veyle ! 
– Madame ! 
– Où êtes-vous ? 
– Au coin de votre cheminée. 
– Couché les pieds sur les chenets comme on est chez ses amis ? 
– Oui, Madame. 
– Il faut convenir qu’il est peu de liaisons aussi anciennes que la nôtre. 
– Cela est vrai. 
– Oui, cinquante ans passés… et dans ce long intervalle pas un nuage, pas même l’apparence d’une brouillerie. 
– C’est ce que j’ai toujours admiré. 
– Mais, Pont-de-Veyle, cela ne viendrait-il pas de ce qu’au fond nous avons toujours été fort indifférents l’un pour l’autre ? 
– Cela se pourrait bien, Madame
. »

Le point métaphysique où l’on est au-delà du bien et du mal selon Pascal : « Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien, sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel. »

Étrange phrase de Wittgenstein dans De la certitude (1951) son dernier texte : (299). « We are satisfied that the earth is round ». Et plus étrange la traduction qui en est donnée dans l’édition Gallimard : « La terre est ronde, nous nous y tenons. »

Pour Jean Dubuffet les philosophes sont « de merveilleux enfonceurs de portes ouvertes, merveilleux énonceurs à grands fracas de ce que sait depuis toujours un gardeur de moutons. » (Correspondance avec Gombrowicz).

« …sentimental comme un églantier. Elle devait le quitter : c’était aussi sûr qu’une éclipse. » Lu dans une nouvelle d’E. Pérochon, Le retour à la terre (1928).

Le mot définitif de Flaubert qui explique bien des attitudes contemporaines : « Je crois à la haine inconsciente du style. »

Le Contre Sainte-Beuve de Proust résumé par Marc Lambron : « Quand on a aimé le foie gras, on ne cherche pas à connaître l’oie. » 

Dans Un fil à la patte de George Feydau, un personnage nommé Bouzin est « littérateur par passion mais clerc de notaires par devoir. »

J. Joubert à propos de Lesage : « On peut dire des romans de Lesage qu’ils ont l’air d’être écrits dans un café par un joueur de dominos en sortant de la comédie ». Toujours d’actualité.

Villiers de l’Isle-Adam affirmait déjà (Poèmes pour assassiner le temps) : « Moins on parle français / Plus on a de succès. »

« La raison est morte en 1914. Novembre 14… après c’est fini, tout déconne. » écrit Céline dans Nord.

À Daumier qui lui lançait, « Il faut être de son temps », Ingres répondit « Mais si l’époque a tort ? ».

« Va te faire foutre, troupeau, je ne suis pas de la bergerie ! » G. Flaubert.

« Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse. » Delacroix dans son Journal.

« Je ne suis rien, je peux tout me permettre. » disait Gombrowicz.

« On n’est jamais tranquille. » Charles IX.

En 1938, à Munich, Robert Ley, un dignitaire nazi, déclarait satisfait : « la seule personne en Allemagne qui a encore une vie privée est celle qui dort. »

« Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l’aura rendue pareille d’un bout à l’autre, et qu’on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu… » Pierre Loti dans Madame Chrysanthème.

Cet aphorisme impromptu de R. Barthes pendant un de ses séminaires sur la voix humaine : « Quelqu’un qu’on entend sans l’écouter est toujours vulgaire. »

Merveilleuse phrase de Philippe Billé qui définit notre époque : « Il y a chez les opprimés de nos jours un goût du vêtement large et mou comme un pyjama, qui leur donne cet air toujours près du matelas. »

Le cardinal de Retz avait déjà pressenti les délétères séductions du politiquement correct : « Il y a des matières sur lesquelles il est constant que le monde veut être trompé. »

Le réconfort de Marc Aurèle : « Ne conçois point les choses telles que les juge celui qui t’offense ou comme il veut que tu les juges. Mais vois-les telles qu’elles sont en réalité. »

Sur un mur de Paris après le premier confinement, cette citation de Georges Perros : « Le sens des réalités va contre le sens de la réalité. »

Selon le poète yougoslave Dusan Matic « la réalité est inguérissable ».

[Ces notes prélevées dans le Grand Chosier de l’auteur n’ont a priori pas de lien(s) entre elles mais le lecteur peut penser le contraire et je ne le démentirai pas…]
Notes, notules et notulettes (1), Notes, notules et notulettes (2), Notes, notules et notulettes (3). Notes, notules et notulettes (4).

Illustrations : (En médaillon) Le cri de Munch (Inflatable The Scream Doll Zest For Life) / (Dans le billet) CHAÏM SOUTINE (1893-1943) : L’Homme au manteau vert, huile sur toile, 1921, The Museum of Modern Art, New York – photographie ©LeLorgnonmélancolique.

Prochain billet le 13 mai.

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Patrick Corneau