Patrick Corneau

Patrick aime beaucoup !Après Un si grand silence et La monnaie des jours, Notes de l’heure offerte est la part ultime de la murmurante épopée d’une âme qui vibre entre l’amour du céleste et l’attrait du terrestre. Par la poignance d’une prose à la fois questionnante et délicatement poétique, entre prière et oblation, Jacques Robinet nous convainc que ces deux pôles ne font qu’un : il y a dans l’amour un mystère redoutable et rayonnant qui fond sur nous, nous épouvante et nous ravit. Attentif à tous les pièges, tant de l’amour-propre que de l’esquive (« Ne déguise pas par des mots ton absence à toi-même »), vigilant à l’égard des leurres du langage (avec les Diafoirus de la psychanalyse, l’enflure et le rabâchage poétique ou les paroles lénifiantes mollement chrétiennes) et de la raison raisonnante, célébrant la beauté consolante des ciels comme la sagesse de l’arbre (toutes choses qui chassent l’ombre intérieure), Jacques Robinet nous offre avec Notes de l’heure offerte une œuvre exigeante qui lève l’espérance et la promesse. Le paradis est toujours là mais nous ne savons pas le voir, quelques livres y aident dont celui-ci. Précieux et rare en ces temps de matérialisme, de brutalité où les « faiseurs » plastronnent ! La belle surprise éditoriale de ce début d’année.
Notes de l’heure offerte de Jacques Robinet, les Éditions de la Coopérative, 2022.

Patrick aime assezLa poésie de Cécile A. Holdban est délicate sans être sentimentale, elle est sensible sans être douloureuse, elle touche à l’essentiel : dire notre étonnement jamais rassasié devant la vie jaillissante, devant la merveille du monde entre le cri de peur et l’éclair du ravissement.
Poète, traductrice, coéditrice de la revue en ligne Ce qui reste, Cécile A. Holdban est aussi une talentueuse artiste-illustratrice. Par une simplicité acquise, ses pinceaux et crayons font surgir une poésie nouvelle d’une Nature réinventée. Car si les moyens diffèrent du poème, le but est toujours le même : réaffirmer la vérité du sensible, débarrasser le vivant de l’usure de l’habitude, effacer le caractère usuel et artificiel des objets ou des paysages pour les voir comme au premier jour du monde avec les yeux d’un enfant (sans mièvrerie aucune) : dans leur existence et non dans leur fonction. 
Pierres et berceaux, Éditions Potentille.

Patrick aime assez
Ce deuxième tome d’une entreprise qui comme l’éditeur Jacques Damade l’affirme « n’eut jamais d’exemple » présente trois heures de Paris vues en 1900 et en 2022 et complète les 7, 9 et 10 heures du soir du premier tome. Rappelons le projet : tout part des Minutes parisiennes, entreprise de l’éditeur Ollendorff autour de 1900. Écrivains et graveurs devaient dépeindre 24 heures de Paris heure par heure. Il n’y en eut que onze de réalisées. La Bibliothèque emboîte le pas d’Ollendorff, ajoute textes, dessins et photographies d’aujourd’hui. Paris 1900 et Paris 2022 dialoguent à nouveau…
À midi, l’heure du déjeuner, non loin des Halles, le ventre de Paris ou ce qu’il en reste, Gilles Ortlieb et Vincent Puente répondent à Georges Montorgueil et au grand graveur Auguste Lepère. Ce sont les mêmes lieux, ce n’est plus le même monde : les ouvrières, cousettes, grisettes, arpètes et midinettes ont disparu remplacées par des jeunes femmes travaillant peut-être dans l’immobilier, la banque, les assurances ou bien des consommatrices pressées portable dans une main tirant de l’autre un chien de race ou une valise à roulettes…
À deux heures, ce sont les îles de la Seine, l’île Saint-Louis semblable à elle-même, belle et inquiétante, et la Cité Notre-Dame et les casernes d’Osman pacha. Après Gustave Geffroy et l’impeccable crayon d’Auguste Lepère, Jérôme Prieur raconte proustiennement son enfance dans l’île et Maurice Miette lui répond en exposant quelques timbres.
À cinq heures de l’après-midi on est à Montmartre, l’endroit le plus haut de Paris, quartier en équilibre entre le ciel et son sous-sol meuble, quartier funambule que Belinda Cannone décrit de son balcon comme d’une loge d’opéra, pendant qu’un siècle plus tôt les crieurs de journaux de la rue du Croissant, siège de la presse populaire, annoncent crimes atroces et célébrités rayonnantes. Sunyer, le graveur, y met tout ce qu’il faut d’encre noire.
L’alchimie du temps qui passe, de Paris qui change s’effectue sur plus d’un siècle, dans l’esprit du lecteur qui lit successivement une heure ancienne et une heure actuelle. Précipité passionnant de la cité, expérience de contraction temporelle, rêverie qui se dégage de la rencontre de la phrase et du dessin. Une mention particulière à Thomas Beulaguet pour la conception graphique et la mise en page : une merveille pour les yeux.
Heures de Paris, Les nouvelles minutes parisiennes, tome 2, éditions de La Bibliothèque, 2022. LRSP (livre reçu en service de presse)

Patrick aime pas mal
Les Moments littéraires poursuivent la série des numéros consacrés aux diaristes francophones. Après les écrivains suisses romands (n° 43, janvier 2020), les Belges francophones (n° 45, janvier 2021), les diaristes du Luxembourg sont les invités du numéro 47.
Des carnets de voyage (Ian De Toffoli, Jean Portante…) aux journaux datés (Carla Lucarelli, Lambert Schlechter…) ou non datés (Laurent Fels, Jean Sorrente…), la diversité et la richesse de l’écrit intime transparaissent dans les quatorzes textes présentés.
Une introduction de Frank Wilhelm (Professeur émérite de littérature française et francophone de l’Université du Luxembourg) donne d’utiles explications historiques pour comprendre la complexité linguistique d’un petit territoire ballotté entre germanité et latinité, deux univers culturels au mieux complémentaires, souvent concurrents et expansionnistes. Ce numéro propose des extraits des journaux ou des carnets intimes de Ian De Toffoli, Laurent Fels, Tullio Forgiarini, Danielle Hoffelt, Pierre Joris, Carla Lucarelli, Paul Mathieu, Jean Portante, Nathalie Ronvaux, Jeff Schinker, Lambert Schlechter, Jean Sorrente, Florent Toniello, Hélène Tyrtoff. Tous ces textes sont inédits.
Un portfolio de dix autoportraits de Cristina Dias de Magalhães complète le sommaire et montre l’apport de la photographie dans le récit de soi.
Les Moments Littéraires n° 47 – Diaristes du Luxembourg, 1er semestre 2022. LRSP (livre reçu en service de presse).

Illustrations : (en médaillon) Gravure sur bois de Sunyer (1874-1956).

Prochain billet le 31 janvier.

Laisser un commentaire

Patrick Corneau