Patrick Corneau

Aux écritures déliantes, la signature vraie.

Qui a le goût de l’absolu renonce par là même à tout bonheur.

C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir. 

Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, tu ne pourrais pas t’égarer.

Ils se regardent à travers leurs cils et se jettent mutuellement des milliers de bouteilles à la mer.

Ceux qui te tiennent pour rien, tiens-les pour zéro.

La colère doit être comptée au nombre des énergies renouvelables.

On paie chèrement le droit fatal d’être soi-même.

Cioran : le seul qui nous console d’être inconsolables.

La réconciliation avec le Dieu que Wittgenstein cherchait était un état de probité et d’intégrité éthique qui survivrait au jugement de ce plus sévère des juges, sa propre conscience qu’il désignait par « Le Dieu qui en mon sein réside ».

Il n’y a rien de plus beau que de se défaire de ses convictions, c’est à cela qu’on reconnaît les esprits libres. Comme le notait Léon Chestov : « L’histoire de la transformation des convictions ! Y a-t-il dans tout le domaine de la littérature une histoire d’un intérêt plus palpitant ? L’histoire de cette transformation serait avant tout, évidemment, l’histoire de l’éclosion des convictions. »

Lu quelque part : « Il a vécu une vie très courte – à l’image de ses textes – entre le silence de ses mains et le thé refroidi. » Tout est dit, et même un peu plus.

Elle était un peu comme ces enfants qui croient que les autobus et les métros s’arrêtent juste pour eux.

Tout le monde fut d’accord pour trouver qu’il « piétinait dans les bégonias ».

N’est-il pas significatif que le dernier texte écrit par Jean Grenier soit une méditation sur « L’escalier » conçu comme métaphore du travail de l’écrivain ? L’écrivain continue d’user de l’escalier, il en a l’esprit. Il le remonte et le redescend, capricieux, inquiet, mélancolique et désenchanté : il a conscience qu’il a toujours oublié quelque chose, que les paliers n’existent pas, les départs ni les sommets.

« On a fait la Grèce », « on a fait l’exposition Monet » : odieuses expressions de la prédation contemporaine – dès lors que les hommes ne croient plus être, ils pensent avoir à faire pour se faire.

Civilisation : plénitude matérielle, pauvreté existentielle, néant spirituel.
Déclin de la civilisation : idem.

Les sautes d’humeur d’une souris de plastique ou de bakélite nous valent de petits romans briquetés de bons sentiments scellés au mortier humanitaire.

Certains ont un peu trop tendance à exhiber leur bonnet d’âme.

J’aimerais devenir comme le camphre, disait un poète*, brûler sans laisser de résidu, après avoir goûté plus que de raison à la vie.

Sa dédicace était amicale et même un peu flatteuse. Mais elle était au crayon.

(Absurdité) Pourquoi faudrait-il éclairer une lanterne et avec quoi ?

Admirer seulement ceux qui ne tombent pas dans le piège tendu par l’admiration des autres.

Le contraire de l’admiration est le jugement. Pour admirer, il faut quitter le jugement. Quitter le jugement : une vie n’y suffit pas. On ne quitte pas l’admiration : on quitte la vie avec elle.

Qu’elle soit télévisuelle ou autre, la mesure de l’audience nous donne l’étiage d’un universel de médiocrité qui est l’une des rares certitudes que nous ayons, incidemment, sur la nature humaine.

Les prix déments atteints dans les ventes d’art a permis à une classe de collectionneurs-spéculateurs de se protéger des fatigues, des incertitudes voire des erreurs de l’appréciation. On est désormais dans une époque où l’on est prêt à payer pour n’avoir pas à choisir.

Dans un monde sursaturé d’images, nous avons du mal à nous représenter l’énergie et la force entraînante de celles, rares en nombre et accès, qui ont précédé l’époque de la reproductibilité technique puis numérique. Avec les écrans nous ne connaissons plus de couleurs solides mais un immatériel instable aux nuances artificielles. La rupture est absolue, la différence inconciliable : fatale perte de l’aura.

Ahness : comprendre la mélancolie des choses qui tient à leur état précaire.

Creuser l’évidence comme l’orteil du derviche tourneur dans le sable du désert. Car l’évidence est plus riche d’énigmes que le mystère lui-même. Elle EST le mystère.

Je tiens pour une bénédiction d’avoir été fidèle, avant de le connaître, à ce précepte de Ramón Gómez de la Serna : « n’être pas trop le professionnel de rien ».

« Le plan rapproché est le contraire d’une statistique. » disait John Berger. Dans le Journal du soir de France 2, il n’y a que des plans rapprochés et des statistiques. Entre les deux : rien.

La philosophie n’était pas aux yeux de Wittgenstein une discipline qui se pût constituer en savoir. J’ai le même sentiment à propos de la photographie : elle est une pratique qui ne peut se constituer en art. La photographie est comme l’habillement : tout le monde est vêtu, tout le monde s’habille ; seulement certains les choisissent mieux que d’autres, les portent mieux que d’autres… Parler d’un « art de l’habillement » autrement que de manière figurée est une absurdité.

– Avec quoi écrivez-vous ?
– Avec une gomme, répond Stravinsky.

Gide appelait Claudel : « le rouleau convertisseur ».

La litanie des mois covidiens : « le monde d’après ». Que de marchands d’images pieuses ! C’est à celui qui proposera la plus rutilante, la plus brillante, donc la plus fausse.

Nous vivons donc ces temps où il est beaucoup plus facile de partager un grief qu’un éloge ou une admiration. Mille oreilles attentives se dressent devant la plus plaintive récrimination.

Graffiti sur un mur de Londonderry, Irlande du Nord : « Y a-t-il une vie avant la mort ? » 

Les Français ont soif d’injustice sinon ils ne se sentiraient pas exister.

La France est un pays de Cocagne habité par des déprimés. Énigme pour les étrangers qui admirent (in petto) la merveilleuse aptitude du Français à trouver chez les autres les causes de son impuissance ou de sa défaite.

Quand de Gaulle brandit le mot « chienlit » les Anglais comprirent : « Pas de chien dans le lit ! »

Si Steve Jobs avait passé son temps à utiliser son iPhone, il ne l’aurait jamais inventé.

La norme aujourd’hui est d’être connecté en étant au courant de rien. Le luxe demain sera d’être déconnecté en étant au courant de tout.

On en apprend beaucoup plus sur l’homme en regardant un documentaire d’Arte de 58 minutes intitulé « Les grands singes, ces primates si proches de l’homme » qu’en lisant tout Girard, tout Bourdieu, et même tout Cyrulnik.

L’homme véritablement silencieux est celui qui se tait quand il a quelque chose à dire.

Il y a peu d’amitié au monde. Surtout entre pairs. William Blake l’a dit d’éminente façon : « Ton amitié me fait trop mal. De grâce, sois donc mon ennemi. »

– Comment vas-tu ?
– Je me le demande.

La fade matinée a terminé sa journée.

Même les cimetières n’échappent pas à la pipolisation. Féroce concurrence entre le Père Lachaise et le cimetière de Montparnasse dont le directeur aurait dit à la mort de Sartre : « Je savais bien qu’il viendrait chez nous. »

– Quand viendras-tu nous racheter ? demande-t-on à Dieu dans un Midrash.
– Quand vous serez tombés au plus bas, répond-il.

Ils évoluaient dans le tunnel de leurs préjugés terminologiques.

Qu’il serait doux de voir le soleil de profil.

Vérité en deçà, erreur au delà — non pas des Pyrénées, mais de mon écran plat « 4K ».

Sinon dans la clarté des rêves, êtes-vous censé voir le monde tout autour de vous qui est caché par la lumière du jour ?

Dans un édifiant documentaire sur les grands singes, le primatologue Frans de Waal commentant la structure des populations de chimpanzés et de bonobos précise qu’elles sont fortement hiérarchisées avec à leur tête un mâle dominant (lui-même « contrôlé » par une femelle âgée dévouée à régler l’ensemble des conflits), que la paix sociale repose très étroitement sur cet ordre et, très discrètement, en baissant la voix, ajoute que la hiérarchisation « protège l’individu ». Ce dernier constat fait sur le ton gêné d’une confidence honteuse interpelle… 

Très imbu non de sa personne mais de sa position de professeur et des titres afférents (hors classe, émérite, palmes académiques, etc.), il est presque ému aux larmes de voir une toute petite mouche parcourir sa main en tous sens, confiante comme si elle était son égale…

La journaliste était venue présenter son livre sur la tendance de la mode « moche ». Le surprenant n’était pas la complaisance veule de l’animatrice et des journalistes sur le plateau de l’émission mais le fait que cette « consœur » était non pas laide, mais tout simplement moche. Elle avait la tête non de l’emploi mais du sujet. CQFD en quelque sorte.

Exemple de bêtise contemporaine boboïde : Alain Finkielkraut les yeux humides et la voix chevrotante lorsque son interlocuteur lui confie (très périphériquement) que ses deux fils sont d’ardents supporters du PSG.

Gargarismes d’abstractions (ce que la peinture suscite pavloviennement chez beaucoup d’intellectuels).

Le peintre Bram van Velde, à qui l’écrivain et galeriste Jean Frémon avait donné à lire un texte qu’il venait d’écrire à partir de sa peinture, eut ce mot dont on ne sait si c’est un compliment ou une manière polie de dire qu’il ne s’y reconnaissait pas du tout :
C’est comme une conversation dans une pièce voisine.

* Christian Belle dit “Sainte-Croix-Loyseau”, poète et diplomate (1901-1987), évoqué et cité par Édith de la Héronnière dans « Quête » in Chemins de traverse (Klincksieck, 2021).

Illustrations : (en médaillon) photographie ©LeLorgnonmélancolique.

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

  1. Van den Bogaerde says:

    Bonjour Monsieur, je lis très souvent ce que vous écrivez et j’en suis toujours heureux. Je vous signale simplement que l’expression « éclairer une lanterne » signifie lui apporter du feu, l’allumer, et qu’il n’y a donc là aucune absurdité. Bien cordialement

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Patrick Corneau