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L’Atelier du roman 107 : John Cooper Powys

Patrick Corneau

Patrick aime beaucoup !Il suffit qu’une nouvelle livraison de L’Atelier du roman arrive dans ma boîte aux lettres pour que le ciel grisaillou sur les toits grisaillou plombant ma grisâtre humeur de novembre s’envole dès la lecture du sommaire et souvent dès que j’aperçois le dessin de Sempé sur la couverture. Le dessin d’ouverture du numéro 107 (décembre 2021) consacré à John Cooper Powys (sous-titré « Au commencement fut la sensation ») est magnifique et se passe de tout commentaire (si ce n’est qu’avec une simple et forte image, l’artiste donne raison à certaines alarmes powysiennes). On ne le répétera jamais assez, Jean-Jacques Sempé est l’indépassable et indispensable moraliste de notre époque, son humour percutant au sourire bienveillant nous fait un bien énorme…
Ce numéro se révèle passionnant car si j’ai lu dans la fratrie des Powys le cadet Llewelyn (1884-1939), je connais moins bien l’aîné John Cowper.

Comme le rappelle Lakis Proguidis en préambule : « Romancier, nouvelliste, poète, essayiste et critique littéraire hors du commun, John Cowper Powys (1872-1963) reste toujours le grand inconnu. Il a passé sa vie en allant d’un endroit à l’autre pour défendre ses amours littéraires. Des artistes de tous les temps. Des anciens et des modernes. Probablement le temps lui a manqué pour parler suffisamment de sa propre œuvre. » D’où ce numéro conçu à l’initiative de Denis Grozdanovitch, épaulé par une pléiade de contributeurs venant nous signaler l’originalité et la fécondité de cette œuvre regrettablement oubliée. Mais surtout réaffirmer ce qui fait l’actualité intempestive et urgemment roborative d’un écrivain ayant su se faire – une dernière fois ? – la voix de la nature avant le grand basculement dans le tout numérique, la déréalisation par le scientisme et l’irréalisation de tout ce qui fait le sel de la vie. Leitmotiv powysien : la connaissance par la sensation, sans quoi nous ne vivons pas.
« Qui dit Powys, dit rapport esthétique à la nature. Et, inversement, quand on dit nature, on dit sève qui irrigue en permanence l’imagination de l’auteur d’Apologie des sens. Entre l’œuvre de Powys et la nature, il n’y a pas solution de continuité. » Avec ces quelques mots Lakis Proguidis a posé le credo que ne cessa d’illustrer artistiquement et essayistiquement ce prolifique écrivain malheureusement considéré pour « happy few ». 

Pour réparer les oublis et lever les méprises : douze articles d’aficionados.
Parmi ceux-ci d’intéressants développements de Denis Grozdanovitch sur l’« analyse dithyrambique » comme méthode d’étude littéraire chez Powys, sur l’« Illusion Vitale » comme ressort intime et pouvoir de résistance à l’embrigadement communautaire ; de beaux passages chez Pierrick Hamelin sur le souci et la réponse powysienne de « l’acte ichtyen » (le bond hors des soucis et misères personnelles comme le saut du poisson) ; chez Goulven Le Brech sur l’art et la méthode de l’« escapisme sensuel » prôné par Powys ; Thierry Gillyboeuf rappelle l’attachement et la complicité que revendiquait Powys avec l’œuvre de Rabelais « célébration de la joie par l’humour, le corps, l’amour et l’art » ; une belle analyse d’Une philosophie de la solitude par Marco Martella, expert en jardins, qui nous indique que pour Powys « la souffrance de l’individu vient justement de son « isolement cosmique », de la coupure d’avec le monde des êtres animés et inanimés ; elle est produite par la distance grandissante qui le sépare de la terre, son lieu véritable, le seul qui seul qu’il ait reçu en partage. » Message par parenthèse que n’a cessé de marteler le poète et essayiste français Henri Raynal (Ils ont décidé que l’univers ne les concernait pas, éditions Klincksieck, 2012). Je regrette de ne pouvoir m’arrêter davantage sur ces éclairants articles.

Avec le dossier principal, la revue propose de savoureux compléments (lectures critiques et textes de création) parmi lesquels j’ai retenu un impressionnant article d’Yves Lepesqueur commentant la lecture que fit Georges Charachidzé (disciple de Dumézil et Lévi-Strauss) des légendes géorgiennes du Prométhée caucasien comparées au mythe grec. Quelques différentes que soient les deux cultures, elles instaurent les linéaments de la condition humaine terrestre. Il appert que le projet contemporain avec la « haine de la sexuation » et la « hantise des techniques » est de nous en libérer ; les conclusions d’Yves Lepesqueur sont sévères : « voici venu le règne de la non-pensée qui s’active pour donner à l’utopie une existence concrète… cette fantasmagorie barbare est aujourd’hui dominante et conquérante ». Ce qui est à craindre est moins un « grand remplacement », c’est-à-dire le déplacement de frontières civilisationnelles que « l’abolition pure et simple de toute civilisation humaine ».
Autre belle découverte : l’écrivain Théo Ananissoh, romancier, critique littéraire et traducteur avec une étude de Bernard Mouralis (« Créer la beauté – Le charme discret de Théo Ananissoh »). Et un texte inédit de Théo Ananissoh lui-même fait des réflexions que lui ont inspiré les images que le robot mobile Perseverance a envoyé de la planète Mars l’été dernier. L’écrivain togolais questionne l’intense sentiment d’absurde et de dérisoire devant les rivalités nationales (islamiques, chinoises, américaines ou françaises) pour approcher, explorer et peut-être s’approprier un désert totalement insignifiant par rapport à ce qui nous importe tant sur terre. Ananissoh observe que rien de grand ne s’est fait dans l’histoire de l’humanité sans le puissant moteur des égocentrismes et des égoïsmes humains. Suit une méditation à partir d’un roman de J. M. Coetzee sur l’instrumentalisation et l’absolutisation du concept de « barbare » (figure de l’Altérité) pour promouvoir notre être démiurgique. Tout cela très remarquable de finesse et de justesse. 
À signaler aussi de Julien Syrac (auteur du très singulier Déshumanité), « L’impossible épiphanie – Sur Soumission de Michel Houellebecq » considéré comme « le requiem lucide de la civilisation occidentale, le bilan rétrospectif d’un suicide en deux temps, la fin de l’Occident chrétien dans les feux baroquisants, dandyesques, d’une certaine décadence (Huysmans), l’échec terminal de la modernité postchrétienne dans le silence résigné des parkings (le narrateur). Bilan chagrin, terrifiant peut-être, avec toutefois la générosité du miroir tendu, seul et précieux cadeau que la lucidité fait à l’espoir. »

Il me semble qu’au fil de ses numéros L’Atelier du roman n’a fait, ne fait que remplir avec constance et autorité cette mission du « miroir tendu, seul et précieux cadeau que la lucidité fait à l’espoir ». L’exercice de la lucidité est blessant, certains pourront le trouver « terrifiant » et en être « chagrin », pour ma part j’en reçois un vif réconfort et même de la joie, source à laquelle puiser – qui sait ? l’énergie nécessaire à un libérateur acte ichtyen

Quelques éclats powysiens…

L’Atelier du roman 107, John Cooper Powys – « Au commencement fut la sensation », décembre 2021. LRSP (livre reçu en service de presse).

Illustrations : (en médaillon) Photographie de John Cooper Powys / L’Atelier du roman – Éditions Buchet-Chastel.

Prochain billet le 4 décembre.

  1. Breuning Liliane says:

    J’ai lu « Wolf Solent » et « Les Enchantements de Glastonbury » coup sur coup quand je travaillais comme serveuse dans un petit restaurant de Chermignon à côté de Crans- Montana dans le Valais. Ce fut un enchantement absolu. Je vous les recommande chaudement, cher Lorgnon. Parfait pour une lecture d’hiver. Bonne journée et bonnes fêtes à vous! Liliane B.

    1. Patrick Corneau says:

      Votre enthousiasme est la plus belle incitation à se jeter sur ces deux titres! Merci et bonnes fêtes de fin d’année! Patrick C.

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