Patrick Corneau

Patrick aime assezC’est un très beau livre que nous offre Jean-Pierre Ferrini avec Je cherchais un pays aux Éditions Le temps qu’il fait. Un livre comme je les aime : une somme, un fourre-tout, une mosaïque dont les parties s’assemblent harmonieusement, le puzzle d’une vie. Ce qui fait le plaisir de l’essai (à la Montaigne) : errer, gambader de-ci de-là avec l’illusion d’une liberté aventureuse alors qu’une main invisible (une sensibilité, un état d’esprit, le sous-sol d’une complexion) vous guide, vous cornaque avec une possible intention si ce n’est un ferme dessein. Ce dessein n’est apparu, ne s’est “dessiné” dans la tête de Jean-Pierre Ferrini qu’avec le temps. Il s’en explique dans les deux pages de l’introduction intitulée “autopographie” : « Au départ, j’ignorais que les parties qui composent Je cherchais un pays n’étaient que les chapitres d’un livre que je porte en moi depuis longtemps. Il a fallu que je commence à en entrevoir la fin pour comprendre que chaque texte se répondait en se complétant jusqu’à former un cycle qui raconte désormais une même histoire. Quand j’ai commencé d’écrire, la forme fragmentaire était celle qui s’imposait, ce que j’appelais mes “difficultés infinies”. A débuté alors un long détour qui s’achève en quelque sorte avec la publication de ce volume (un second est en préparation). Gustave Courbet, Cesare Pavese ou les poètes iraniens sont ainsi apparus comme des guides dans mes pérégrinations. J’écrivais sur eux et ils me permettaient de coordonner quelque chose de moi-même, le pays que je cherchais, une enfance franc-comtoise, des origines italiennes ou celles, persiques, de la femme qui partage ma vie. Dans l’un et l’autre cas, le topos était littéraire : retour au pays, voyages en Italie et en Orient. La lecture se transformait en une “expérience singulière”, jouait le rôle de trait d’union entre l’essai et le récit, un récit autobiographique ou d’apprentissage ou ce qu’on pourrait désigner par le terme d’“autopographie ». 

Derrière la singularité du projet, la reprise partielle de publications antérieures qui viennent se conjoindre pour constituer le “pays qu’on cherche” – un pays rêvé, un lieu affinitaire où l’on serait chez soi sans que ce soit forcément celui de notre naissance ou de notre origine – il y a un auteur. Mais d’abord un homme. Un homme qui a la franchise d’avouer que tout est parti d’un manque d’assurance, d’une “vocation” au tâtonnement, au jeu du hasard et de la nécessité (lancer des osselets) dû pour partie à une formation “chaotique”. « N’ayant rien appris à, de l’école (mauvais élève) », il lui a fallu lentement composer en autodidacte sa propre bibliothèque, puis après avoir repris des études de lettres arriver finalement « au seuil de l’écriture » grâce à la rencontre de quelques guides (Dante, Courbet, Pavese, les poètes iraniens).
Dans les trois parties qui composent Je cherchais un pays, la deuxième est consacrée à « L’expérience singulière de la lecture » et comprend deux sous-parties de 3 et 5 chapitres (l’ensemble est le fruit de deux conférences données dans des écoles d’art). Comme on l’imagine, cette partie-charnière entre “préparation” et “exécution” m’a vivement intéressé car comme le loup de la devinette se cache dans sa propre image au milieu des branches du pommier, ainsi trouve-t-on la substantifique moelle de ce livre où plutôt le point nodal où s’enracine le désir (et les scrupules) d’écrire de Jean-Pierre Ferrini. Je cite in extenso sa réflexion qui a force d’aveu : 
« Créer, c’est entrer en relation avec un autre que soi-même, entreprendre une navigation périlleuse entre Charybde et Scylla. Une seule certitude. On rechignerait toujours à commencer le véritable voyage, le désirant et le retardant sans cesse.
Un jour, on a décidé d’écrire, ce jeu insensé d’écrire. Chez chacun, l’expérience est unique. Le mot qui convient pour exprimer une telle expérience est « réel » qu’on a traduit par « impossible ». Le réel est un impossible. Il n’est pas la réalité.
Créer, c’est entrevoir, ne serait-ce qu’un instant, le réel, c’est comprendre qu’il change notre perception de la réalité, c’est comprendre que notre « moi » n’est pas le centre du monde, qu’un monde tourne autour, comme « une expansion de choses infinies », dont nous serions le dépositaire.
Il ne s’agit pas de mon incapacité à exprimer ma subjectivité ou les affres de mon existence ni de tomber amoureux de soi-même comme Narcisse meurt de ne pas voir, dans le semblable, le dissemblable. On n’écrit pas pour satisfaire son amour-propre. Toute création est abandon, oubli, don de soi.
Ce qui compte n’est pas ce qu’on dit mais comment on le dit.
Le réel n’est pas plus l’imitation de la réalité ni la création d’un monde imaginaire. Il serait ce qui dans la réalité ou dans l’imagination résiste. »

Le livre se clôt sur la mise en pratique de ce programme (et inévitablement « ses difficultés infinies ») avec une suite de 10 textes inédits qui sont autant de micro-récits, de vignettes colorés par des lieux visités, traversés ou habités. Bribes, pages de carnets, souvenirs rêvés, fantasmés, encore brûlants des vieilles douleurs qu’il faut exorciser. L’écriture comme “chant narration” pour retenir la glissade des choses, l’incessant écoulement de la vie et primant cela, la force de l’amour qui désarme, efface les fausses séductions de la prose (“Un père de famille”)… Le point d’orgue étant un poème (“Si c’est un poème”) qui referme (è finito) cette pérégrination avec ce quatrain :
je cherche l’Italie dans ma voix 
comme ces ruines du Palatin 
que je voyais hier dans la douce lumière 
du soir pour finir ce sonnet
Une mélancolie de vestiges du jour hante les lignes de Je cherchais un pays – ce n’est pas le moindre de ses charmes.
Il nous reste à patienter avant de lire le dernier volume qui refermera ce cycle : cinq chapitres, annonce Jean-Pierre Ferrini, « comme les cinq doigts de nos deux mains ou les cinq pièces d’un jeu d’osselets ». Aspetta e leggi

Je cherchais un pays de Jean-Pierre Ferrini, Éditions Le temps qu’il fait, 2023 (25€). LRSP (livre reçu en service de presse).

Illustrations : (en médaillon) photographie de Jean-Pierre Ferrini ©Le temps qu’il fait / Éditions Le temps qu’il fait.

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

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Patrick Corneau