Patrick Corneau

Patrick aime pas mal[⏱ 5 minutes] Un peu par hasard (bien que je ne croie pas au hasard dans la rencontre des livres, mais c’est une affaire trop compliquée pour que je m’y attarde), je viens de découvrir Questionnaires de Max Frisch. Un petit livre très énigmatique : réédité (trois fois !) avec beaucoup de soin par les Éditions Cent Pages dans un tout petit format, à mi chemin entre le livre d’art et le recueil de maximes, un papier fin et une couverture sombre sur laquelle est imprimé le chiffre « Dix ». 
L’ensemble a de quoi intriguer. 
Le contenu l’est encore plus. Il s’agit d’une suite d’interrogations qui n’appellent aucune réponse, extraites du Journal de l’écrivain et architecte suisse allemand. Rien à voir avec le fameux questionnaire de Proust…

Feuilleter ces pages est très troublant, car d’apparence naïves ou débonnaires, ces questions s’avèrent, en réalité, redoutables : elles interrogent férocement le lecteur sur ses propres conventions intellectuelles, morales ou encore sociales.

Qui auriez-vous préféré ne jamais rencontrer ?
Redoutez-vous les pauvres ?
Aimeriez-vous une femme riche ?
Détestez-vous l’argent liquide ?
Savez-vous en règle générale ce que vous espérez ?

Sous le couvert d’interrogations faussement candides, Max Frisch met à mal les certitudes que nous croyons détenir sur certaines notions. Le livre s’appuie sur 10 questionnaires de 25 questions, chaque suite portant sur un thème précis comme le mariage, les femmes, l’espoir, l’humour, l’argent, la propriété.

Enviez-vous parfois les animaux qui semblent se tirer d’affaire sans espérance, par exemple les poissons d’un aquarium ?
Quel espoir avez-vous abandonné ?

Avez-vous de l’humour lorsque vous êtes seul ?
Aimeriez-vous être votre femme ?
À qui, à votre avis, appartient l’atmosphère par exemple ?
Aimez-vous les clôtures ?

Les nombreuses et diverses questions sur un même thème, par leur effet cumulatif et disruptif aboutissent souvent à l’incertitude, soulignent l’absurdité totale de nos conventions et nous invitent à repenser l’échelle de nos valeurs. En moraliste contemporain, Max Frisch sonde les contradictions de notre âme et nous laisse en désarroi face à nous-mêmes.

Contre quoi n’êtes-vous pas assuré ?
Quelle dose de pays natal vous faut-il ?

Avez-vous un chien pour qu’il vous tienne lieu d’ami ?
Votre autocritique vous convainc-t-elle ?

Dérangeant, drôle, parfois caustique Questionnaires de Max Frisch est à lire avec un plaisir sournois. Il est aussi une invitation à pratiquer l’exercice par soi-même, pour soi-même ou avec des amis. Formuler une question bien sentie a la même vertu que l’aphorisme : faire choir de rudes coups de fouet sur le dos des évidences. Alors vient l’étonnement, au sens étymologique qu’il avait dans la langue classique où il signifiait « commotion, violente secousse physique ». 

Je risque les miennes :
Sachant que vous êtes immortel, comment organiserez-vous vos journées ?
Que feriez-vous si vous n’étiez pas né ?
En cas d’absence, où aimeriez-vous être ?

Vous arrive-t-il de ne pas vous comprendre ? Si oui, vous approuvez-vous davantage ?
Refuseriez-vous de lire un livre dont l’auteur est un ami ?

(…)

L’éditeur lui aussi s’est pris au jeu.

À vous de jouer !

Questionnaires de Max Frisch, Éditions cent pages, 304 p., 15 euros, 2019. 

Illustrations : Photographie de Max Frisch (médaillon) ©AP, portrait de Max Frisch par Otto Dix, photographies ©LeLorgnonmélancolique/ Éditions cent pages.

Prochaine chronique le 27 avril.

  1. serge says:

    En dehors de la tête réduite et sous vitrine de votre mère, quels sont les cinq objets étranges auxquels vous tenez ou que vous souhaiteriez posséder?
    Lorsque vous étiez gardien de phare à quoi rêviez-vous les nuits de tempêtes?
    Vous prenez un train sans retour. Pour où et pourquoi?
    Vous devenez gardien de musée. Quel musée et pourquoi?

    (j’ai triché, j’ai piqué ça dans « L’étrange questionnaire » de Éric Poindron)

Laisser un commentaire

Patrick Corneau