Les nombreux vacanciers qui pestent contre les intempéries devraient méditer cette réflexion* de Proust: « Quand j’étais tout enfant, le sort d’aucun personnage de l’histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du Déluge, qui le tint enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours je dus rester aussi dans l' »arche ». Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fit nuit sur la Terre. »
Ce que laisse penser Proust dans l’épisode du Déluge, est que bien que Noé fût âgé de six cents ans quand Dieu inonda la Terre, et qu’il eût disposé du temps nécessaire pour regarder autour de lui, la présence constante de son environnement, qui occupait son champ de vision de façon si permanente, ne l’avait aucunement incité à le recréer intérieurement. Quel était l’intérêt d’observer un buisson de près dans son esprit alors que le voisinage fourmillait d’exemples de buissons? La situation eût été bien différente après quinze jours dans l’Arche, quand, empli de nostalgie pour son ancien cadre de vie, et incapable de l’apercevoir, Noé eût tout naturellement commencé à fixer son esprit sur ses souvenirs de buissons, d’arbres et de montagnes, et donc, pour la première fois en six cents ans d’existence, commencé à les voir VRAIMENT. Autrement dit, la présence physique d’un objet est loin de constituer la circonstance idéale pour le remarquer. Cette présence et la force destructrice de l’habitude pourraient en fait être précisément ce qui nous pousse à l’ignorer ou à le négliger, car nous avons l’impression d’avoir achevé notre tâche simplement en assurant un simple « contact visuel ».
Petite moralité proustienne: poussés que nous sommes dans des « arches » (appartements, location de vacances, gîtes, tentes, mobile-homes…) par le mauvais temps, peut-être devrions-nous mettre à profit ce temps de réclusion pour prêter davantage attention aux choses (intérieurement), aux êtres aimés en particulier?
[Bien sûr, j’ai conscience de ce que de telles réflexions ont de déplacé à une époque de loisirs généralisés où prime l’obsession morbide du « Tout, tout de suite ». Et puis, l’anticyclone des Açores revient, paraît-il!]
* Dédicace autobiographique des Plaisirs et les Jours, 1896.
Illustration: origine inconnue
En profiter pour écrire de belles choses sur son plafond intérieur…
Bonjour !
Je connais deux versions pour ce passage de Proust, une avec un t minuscule à terre et l’autre avec une majuscule.
Est-il certain que Terre est bien écrite de cette manière à l’origine ?
Cordialement,
Michael Lecomte
Merci pour cette précision. J’aurais tendance à penser que Proust n’a pas mis de majuscule.