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Rêvons de l’éphémère et laissons-nous errer dans la belle folie des choses…

« En attendant, dégustons une tasse de thé. La lumière de l’après-midi éclaire les bambous, les fontaines babillent délicieusement, le soupir des pins murmure dans notre bouilloire. Rêvons de l’éphémère et laissons-nous errer dans la belle folie des choses. » OKAKURA Kazuko, Book of tea.

Je me suis déjà exprimé ici sur l’incontournable notion de « Wabi-Sabi », un concept spiritualo-esthétique que la plupart des japonais eux-mêmes sont bien incapable de définir puisqu’il est davantage un état d’esprit, un « sentiment d’être ». On trouve en langue anglaise, une assez riche bibliographie sur le sujet; en français, rien ou presque si ce n’est la référence obligée qu’est la traduction par René Sieffert de l’essai de Tanizaki, Eloge de l’ombre.
Le pendant occidental à cette petite merveille pourrait être le beau livre de Roberto Peregalli que vient de publier Arléa. Eloge de la fragilité, Les Lieux et la poussière est un essai sur la beauté du monde qui disparaît sous les coups de boutoir de la violence qu’exerce sans fin la technologie moderne. Certains déploreront un nouvel avatar du « c’était mieux avant » qui fait la jouissance du conservateur enkysté. Non, c’est une promenade philosohique d’une étrange beauté, attachée au dire d’une vulnérabilité, d’une simplicité que nous avons révoquées. Faire résonner le silence métaphysique qu’expriment les « pauvres choses » (façades, ruines, friches) et dont « les traces à peine visibles forment la trame de notre vie », y a-t-il un autre combat à mener?

(extrait) « Je crois qu’à notre époque, faussement lumineuse et rassurante, qui veut, à chaque étape, exorciser la mort et la fragilité de la vie parmi les couleurs criardes, les surfaces pâles et ternes, les lumières violentes qui cernent notre quotidien, il nous reste à trouver un chemin dans l’interstice des choses faites par l’homme, une lézarde, une ruine qui en certifiera le bien-fondé. Dans un monde qui théorise les guerres « intelligentes » et les objectifs « ciblés », la bar­barie n’est plus faite de destructions, mais de constructions.
Le déclin est constitutif de l’être. Tout décline, se corrompt, se défait. Mais ce déclin est un fragment de notre être. Une lumière inter­mittente à cause d’une ampoule capricieuse, un phare qui reste éteint peuvent donner un charme poétique à des lieux qui d’ordinaire sont inhos­pitaliers. La nature, ou du moins ce qu’il en reste, fera sa part. De mauvaises herbes qui lon­gent les murs, des arbustes qui croissent dans les interstices de terre près d’un monument don­nent à des bâtiments d’ordinaire ingrats, ou à des ruines imposantes mais froides, un magné­tisme extraordinaire. Un lieu n’est pas seule­ment fait de lignes et de géométrie, mais d’un ensemble de choses qui le rendent magique. »

Cette lecture peut utilement compléter le texte plus stylistiquement poétique de Daniel Klébaner, L’art du peu* paru dans la collection « Le Chemin » chez Gallimard en 1983.

* « Je veux parler d’un art où l’homme trouve l’éclat dans le terne, l’audace dans la prudence, la pérennité dans le précaire, l’excellence dans le quelconque. » D. K.

Illustration: Photographie « Tea bowl » ©Lelorgnonmélancolique / Arléa Editeur.

  1. Cloé says:

    Quel beau titre (celui de votre article). Et quel programme !!! j’aimerais bien m’inscrire. mais jamais je ne pourrai acheter tous les livres que vous citez ici… merci en tout cas pour vos morceaux choisis… (nourritures pour moineau affamé)

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Patrick Corneau