Quand je serai une vieille femme je m’habillerai en violet,
Avec un chapeau rouge mal assorti et qui ne me va pas,
Et je gaspillerai ma pension à acheter du cognac ou des gants d’été
Et des sandales de satin, et je dirai que nous n’avons plus d’argent pour le beurre.
Je m’assiérai à même le trottoir quand je serai fatiguée
Et je me gorgerai de ces échantillons gratuits qu’on vous verse dans les magasins, et je tirerai les sonnettes d’alarme
Et je raclerai bruyamment les balustrades de fer des bâtiments publics avec ma canne
Et je compenserai pour toute la sobriété de ma jeunesse.
Je sortirai en pantoufles sous la pluie
Je cueillerai des fleurs dans les jardins des autres
Et j’apprendrai à cracher.
Vous pouvez porter de hideuses chemises et devenir obèse
Et dévorer trois livres de saucisses d’un coup
Ou vivre de pain sec et de cornichons pendant une semaine
Et entasser plumes et crayons, et sous-verres à bière en carton et toutes sortes de choses encore dans des boîtes.
Mais pour le moment je dois porter des vêtements qui me tiennent au sec
Et payer notre loyer, et m’abstenir de jurer dans la rue
Et donner le bon exemple aux enfants.
Nous devons inviter des amis à dîner, et lire les journaux.
Mais peut-être devrais-je dès maintenant acquérir un peu de pratique?
Ainsi les gens qui me connaissent ne seront pas trop surpris et choqués
Quand soudainement je serai vieille et commencerai à m’habiller de violet.
Au sujet de l’illustration, je préfère nettement plus le tableau la « Dame au chapeau vert » de van Dongen, exposé à la fondation Gianadda à Martigny (Suisse)…
Oui, vous avez raison (et très bon goût) : voici, du même Van Dongen, « Le coquelicot » de 1919. 🙂
Jubilatoire. J’ai l’âge de m’y mettre. A moi les grandes tuniques violettes et les chapeaux verts ou pourpres! Ce texte est extra. Merci!
merci. Superbe. Quand je vois une expo chiante chez Gianadda (ça arrive), je finis en m’asseyant devant la dame de van Dongen et je lui demande de me sourire…
bien mieux en effet avec cette illustration. Ce texte est délicieux.