le_coquelicot_1919.1245657041.jpgQuand je serai une vieille femme je m’habillerai en violet,

Avec un chapeau rouge mal assorti et qui ne me va pas,

Et je gaspillerai ma pension à acheter du cognac ou des gants d’été

Et des sandales de satin, et je dirai que nous n’avons plus d’argent pour le beurre.

Je m’assiérai à même le trottoir quand je serai fatiguée

Et je me gorgerai de ces échantillons gratuits qu’on vous verse dans les magasins, et je tirerai les sonnettes d’alarme

Et je raclerai bruyamment les balustrades de fer des bâtiments publics avec ma canne

Et je compenserai pour toute la sobriété de ma jeunesse.

Je sortirai en pantoufles sous la pluie

Je cueillerai des fleurs dans les jardins des autres

Et j’apprendrai à cracher.

Vous pouvez porter de hideuses chemises et devenir obèse

Et dévorer trois livres de saucisses d’un coup

Ou vivre de pain sec et de cornichons pendant une semaine

Et entasser plumes et crayons, et sous-verres à bière en carton et toutes sortes de choses encore dans des boîtes.

Mais pour le moment je dois porter des vêtements qui me tiennent au sec

Et payer notre loyer, et m’abstenir de jurer dans la rue

Et donner le bon exemple aux enfants.

Nous devons inviter des amis à dîner, et lire les journaux.

Mais peut-être devrais-je dès maintenant acquérir un peu de pratique?

Ainsi les gens qui me connaissent ne seront pas trop surpris et choqués

Quand soudainement je serai vieille et commencerai à m’habiller de violet.

Jenny Joseph

La version en anglais

  1. nomade says:

    Au sujet de l’illustration, je préfère nettement plus le tableau la « Dame au chapeau vert » de van Dongen, exposé à la fondation Gianadda à Martigny (Suisse)…

    Oui, vous avez raison (et très bon goût) : voici, du même Van Dongen, « Le coquelicot » de 1919. 🙂

  2. Natacha Salagnac says:

    Jubilatoire. J’ai l’âge de m’y mettre. A moi les grandes tuniques violettes et les chapeaux verts ou pourpres! Ce texte est extra. Merci!

  3. nomade says:

    merci. Superbe. Quand je vois une expo chiante chez Gianadda (ça arrive), je finis en m’asseyant devant la dame de van Dongen et je lui demande de me sourire…

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Patrick Corneau