Lorsque je me suis réveillé ce matin du 1er janvier 2025, je n’en ai pas cru mes yeux. À la place de ma chambre habituelle, je me trouvais dans une pièce immense, ornée de lustres scintillants, de tapis somptueux et de gigantesques horloges suspendues aux murs. Chaque horloge semblait avancer à une vitesse différente, certaines à peine en mouvement, d’autres tournant à vive allure. Une brume dorée flottait dans l’air, emplissant l’espace d’une odeur étrange, comme un mélange de pain chaud et de feuilles d’automne.
— Vous voilà enfin ! s’écria une voix derrière moi.
Je me retournai brusquement et vis un homme vêtu d’un extravagant costume gris clair, un haut-de-forme légèrement penché sur sa tête. Il portait une longue chaîne de montre accrochée à un gilet chiné anthracite. Au-dessus d’une barbiche méphistophélique et d’un nez avantageux, ses yeux pétillaient d’une énergie malicieuse.
— Qui êtes-vous ? Et où suis-je ? balbutiai-je, encore étourdi.
— Je suis Maître Minuit, gardien du Réveil des Années. Vous êtes dans la Salle des Temps Suspendus.
— Le… quoi ?
Comme si c’était une évidence, l’homme soupira avec une moue d’impatience.
— La Salle des Temps Suspendus ! C’est ici que les années se croisent et s’échangent leurs pouvoirs. Mais cette fois-ci, nous avons un problème. Et vous êtes ici pour nous aider à le résoudre.
Je secouai la tête, incrédule.
— Il doit y avoir une erreur. Je ne suis qu’une personne normale.
Maître Minuit leva un doigt, comme pour me corriger.
— Oh, pas si normale. Vous avez été choisi parce que vous avez fait un vœu spécial au moment des douze coups de minuit. Un vœu si puissant qu’il a bloqué le passage de 2024 à 2025.
Les souvenirs me revinrent brusquement. J’avais effectivement fait un vœu, mais c’était un souhait fugace, à peine une pensée : “Si seulement je pouvais arrêter le temps, juste un moment.”
— Attendez, dis-je, vous voulez dire que mon vœu a causé tout ça ?
— Exactement, répondit Maître Minuit. Votre vœu a figé l’année 2024. Personne ne peut avancer. Pas une seconde, pas un jour. Tant que vous ne réparerez pas ce que vous avez fait, le monde restera bloqué dans un entre-deux.
Je regardai autour de moi, désemparé. Menaçantes, les horloges semblaient me fixer, comme pour confirmer ses paroles.
— Et comment puis-je réparer ça ?
Maître Minuit sourit et sortit une minuscule clef de sa poche. Elle était translucide car en verre, peut-être en cristal.
— Vous devez trouver l’Horloge du Nouvel An et y déposer votre vœu. Cette clef vous y mènera. Mais attention, le chemin est semé d’épreuves.
Il me tendit la clef, et à peine l’avais-je touchée que la salle disparut. Je me retrouvai dans un champ enneigé, une vaste plaine d’un blanc immaculé, où seuls les sifflements du vent accompagnaient mes pas. Devant moi, une immense tour se dressait, si haute qu’elle disparaissait dans les nuages.
Je savais que c’était là que je devais aller.
Le voyage fut étrange. Chaque pas que je faisais semblait m’emmener dans un autre lieu : une multitude de souvenirs défilaient autour de moi, des épisodes heureux, des moments de tristesse ou de mélancolie. À un moment, je revis ma grand-mère Ginette jouer au Nain Jaune avec mes sœurs et moi, et cette scène me réchauffa le cœur. Et puis des instants d’angoisse au lycée avant, pendant les devoirs sur table… Puis, plus tard comme professeur, mes crises d’anxiété avant la reprise des cours… Je revis mon père dans son lit regardant fixement dans une direction connue de lui seul… En un éclair je vis ma vie entière, un peu comme on voit un bateau dans une bouteille. Plus loin, je fus confronté à une version de moi-même, plus jeune – elle me posa une question :
— Pourquoi voulais-tu arrêter le temps ?
Je restai sans voix. Pourquoi, en effet ?
— Parce que le passé et l’avenir en se touchant m’écrasent, murmurai-je.
Sans dire un mot, la version plus jeune de moi-même hocha la tête d’un air entendu comme si elle m’avait percé à jour et disparut. Je restai seul devant la tour.
Lorsque j’ouvris la porte, je fus accueilli par le tic-tac assourdissant de l’Horloge du Nouvel An. Elle était gigantesque, ses rouages brillaient d’une lumière dorée. Je montai les escaliers en colimaçon jusqu’au sommet, où je trouvai une petite fente, juste assez grande pour la clef.
Maître Minuit apparut à mes côtés.
— Êtes-vous prêt à renoncer à votre vœu ?
Je pris une profonde inspiration.
— Oui. Je crois… que je suis prêt !
— Combien de temps encore voulez-vous refaire, de plus en plus péniblement et de moins en moins bien, les choses que vous avez faites cent mille fois, qui ne vous ont jamais donné entière satisfaction, qui vous ont souvent déçu, et parfois dégoûté. Combien de temps encore dans les mêmes termes, les mêmes pas, les mêmes meubles ?
— Sans fin, je veux que ce soit sans fin…
Haletant tout en craignant qu’elle ne se brise, je glissai la clef dans la fente. Une puissante déflagration de lumière emplit la pièce.
Lorsque je rouvris les yeux, j’étais de retour dans mon lit. Une maigre lumière d’hiver éclairait la chambre. Un jour nouveau, une nouvelle année avaient commencé. Pourtant rien n’avait changé : le décor était le même. 2025 ressemblait furieusement à 2024. Comme l’avait dit Maître Minuit : “les mêmes termes, les mêmes pas, les mêmes meubles”… Alors, tout ça pour ça ? Soudain dans la cour, j’entendis le croassement d’un corbeau posté sur un toit voisin – était-ce Edgar Allan Poe qui venait me narguer ?
Illustrations : (en médaillon) image provenance Internet – dans le billet : image créée par ChatGPT.
Vous n’auriez jamais lu ce livre si vous n’aviez connu l’auteur !
Le temps figé!? Avec François Bayrou premier ministre pour l’éternité? Vous me plongez dans une angoisse indicible.
Je vous souhaite quand même une bonne année. Et une bonne inspiration pour vos prochains billets.
Ne vous inquiétez pas la porte du temps est rentrée dans ses gonds, elle va pouvoir aller venir…
Bonne année à vous aussi avec cette belle humeur sereine et détachée… 😉