Patrick Corneau


Lu dans Échancrures de Georges Perros chez Calligrammes (1982).
Sur l’ÉCRITURE :
« Il faut se cacher pour écrire. Parce qu’écrire nous met à poil. A nu. Écrire n’est pas présentable. (Mais pour certains, c’est le contraire. Ils se mettent sur leur trente-et-un. Finissent généralement l’épée à la hanche). »

« Ce que j’ai appris, c’est qu’il est plus difficile d’écrire simplement qu’hermétiquement. L’hermétique doit être absorbé par le simple. Hölderlin le savait. Et Artaud. »

« C’est gai, écrire. On peut écrire gaiement qu’on va se suicider. Écrire ne peut tendre qu’à l’ellipse, au poème ; ou à l’illusion de l’efficacité. Le langage c’est un océan de mots. Pour ma part, ou je suis presque noyé dedans, ou, quand la mer se retire, je regarde, je marche sur ce qui reste. Des trous, des flaques. L’écriture fragmentaire, ce sont des flaques, ces restes marins, ces coquillages, ces témoins humides. Mon attention les sèche. A l’opposé du discours continu, qui est la vie, entre du palpable et du rien. Un petit Poucet, sauf que j’ai les cailloux devant moi. Comment lire ces déchets ? Il y a un temps, un moment, pour lire le journal, pour lire un roman ou un poème. Mais des notes ? Au-delà de la note, il y a, il n’y a que l’aphorisme, solitaire invétéré. Mots en froid. »

« Bien écrire, ça ne veut rien dire. Aujourd’hui, on ne peut que souhaiter la rupture totale. Ce n’est pas facile. Il ne faut pas le faire exprès, mais le vi­vre. Ce que j’aime chez un écrivain, c’est ce qui lui échappe, à partir d’une élimination. La littérature n’a de sens que monstrueuse. Écrire, c’est Balzac, c’est Hugo, c’est Proust. Dragueurs en folie. »

« Le travail. Piano. Je sais que si je reste une heure sur cette mesure, à la travailler, à trouver le doigté adéquat, je parviendrai à la jouer correctement. Oui. C’est ce que je n’ai jamais fait. Ignorance totale de “ce temps” là. Pourquoi ? De même ne puis-je pas écrire complètement. Je dois toujours laisser une marge d’insuffisance, d’impossible, voire de médiocrité, sans laquelle il n’y aurait pas, pour moi, d’écriture possible. Inexplicable. »

Sur la LECTURE :
« Il faudrait empêcher de lire ceux qui claironnent que la littérature ne sert à rien. A des riens, oui. J’aurais donné ma chemise, cousue d’or, pour connaître Kafka. L’aimer. Vivre en même temps que lui. Je tuerais avec plaisir ceux qui déblatèrent sur son “angoisse morbide”. S’ils n’existaient pas, Kafka n’aurait pas existé. Qu’on se le dise !* »

« La lecture, résurrection de Lazare.
Soulever la dalle des mots. »

« Un poème est fait pour être lu, comme une femme pour être caressée.
Un poème vieux garçon, ça n’existe pas. »

« Il y a toujours quelque chose d’illisible dans un poème (digne de ce nom).
L’illisible, c’est le poème lui-même, rendu équivalent à la nature. »

« Un poème, c’est l’intérieur et l’extérieur, quelque chose au cœur de laquelle on peut habiter. Et quand l’intérieur est trop confortable, permet une pose, voire un repos, ça se sent tout de suite. Un poème fait partie du monde, il s’intègre à tout l’invisible, à tout l’ailleurs, à ce que Bonnefoy appelle “l’arrière-pays”. Il y a des choses qui passent en nous, qui nous traversent, nous travaillent, comme on dit que la mer est travaillée, sans que nous en soyions les maîtres. Ni les esclaves.
Le matériau nous ignore, nous lui sommes parfaitement indifférent. A prendre ou à laisser. »

« Je vais bientôt avoir l’air moins con de ne pas avoir éprouvé l’urgent besoin de lire Marx, Freud, de ne pas avoir été stalinien, maoïste, giscardien…
Vive la plèbe ! Je m’en-masse de plus en plus, moins coupable d’avoir lu autre chose, d’avoir aimé autre chose. Lecture qui m’a laissé intact dans la merde originelle. Voilà qu’on s’en occupe. Qui l’eût dit ! »

« J’invente au fur et à mesure, dit le romancier. Mais les mots sont contagieux. Et tout livre est malade, rarement contagieux. Lui. Un bon livre, un beau livre, c’est un livre qui nous fout sa maladie. Jusqu’à ce qu’il en meure. Nous avec. »

« Les meilleurs lecteurs sont ceux qui sont jaloux des manuscrits. »

Il est réconfortant finalement de voir Perros rester, bon an mal an, invisible aux clergés ruminants (universitaire, psychanalytique, philosophique, journalistique) et leurs déconstructions toxiques. Perros échappe. Une intelligence subtile, virevoltante et rétive, une extralucidité brutale, une sensibilité caméléonesque, épidermiquement réfractaire au consensus, bon camarade mais asocial, littérairement insituable… Bref, un homme vrai dont l’étoile monte à mesure que se répandent l’insignifiance et la falsification.

* Venue des limbes de la mémoire littéraire, une belle réponse au rigolard Trapenard qui, en juin dernier dans La Grande Librairie, avec un quarteron de plumitifs infiniment médiocres, “déboulonna” Kafka : il était dans la droite ligne (la bêtise et les ricanements en plus) de la “purification rétro-active” dénoncée par Sollers dans Un vrai roman – Mémoires (Folio, 2009).

Illustrations : (en médaillon) photographie de Georges Perros – dans le corps du billet : Georges Perros, sur la moto offerte par Jeanne Moreau avec son premier cachet (Les jambes serrées contre ce ventre d’essence, écrit-il dans “Poèmes bleus”), avec Xavier Grall (lire son touchant témoignage ici) chez Nicole Corelleau | ©MICHEL THERSIQUEL/AMIS DE MICHEL THERSIQUEL / Éditions Calligrammes.

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

Patrick Corneau