Les hasards d’une visite impromptue dans la bibliothèque familiale où perdurent quelques traces de mes lectures de jeune adulte (années 70) m’ont fait redécouvrir trois livres de Henri Laborit, ce grand biologiste qui a introduit dans la thérapeutique le premier tranquillisant (1952), l’hibernation artificielle et étendu avec La nouvelle grille (1974) les lois de la biologie aux comportements humains et à l’organisation sociale. À l’époque, cela avait provoqué quelques remous… En 1980, dans Mon oncle d’Amérique, Alain Resnais mit ses théories en images.
J’ai relu son Éloge de la fuite (1976) où sans se poser la question du plaire & du déplaire, il interroge ces grands mots que sont la foi, la liberté, la mort, les autres, le passé, le plaisir et notamment l’amour, thème qui ouvre le livre. Simplicité, rigueur, franchise, lucidité, passion de comprendre, font que cette voix n’a pas pris une ride – sa courageuse intempestivité est indemne… Voici le premier paragraphe et les deux derniers de la conclusion.
L’AMOUR
(…) Ainsi, j’ai compris que ce que l’on appelle « amour » naissait du réenforcement de l’action gratifiante autorisée par un autre être situé dans notre espace opérationnel et que le mal d amour résultait du fait que cet être pouvait refuser d’être notre objet gratifiant ou devenir celui d’un autre, se soustrayant ainsi plus ou moins complètement à notre action. Que ce refus ou ce partage blessait l’image idéale que Ion se faisait de soi, blessait notre narcissisme et initiait soit la dépression, soit l’agressivité, soit le dénigrement de l’être aimé.
— Narcisse, tu connais ?
Henri Laborit, Éloge de la fuite, éditions Robert Laffont, 1976.
Le texte intégral de la réédition en Folio/Gallimard en libre accès au format PDF.
Illustrations : (en médaillon) Le cri de Munch (Inflatable The Scream Doll Zest For Life) / (Dans le billet) photographie ©LeLorgnonmélancolique.
Prochain billet bientôt se Deus quiser.
J’avais lu ce texte, dans ces années-là, vu le film de Resnais aussi, et puis oublié que je l’avais lu, presque oublié aussi le film de Resnais ( Mais je me souviens, sans être aucunement capable de mettre des images précises dessus, une scène avec Roger Pierre, d’autres, tout aussi imprécises avec des rats de laboratoire qui courent). Je relis ces extraits aujourd’hui, plus de 40 ans après… 1974… 2022… le temps s’est effacé. Vous avez raison, pas une seule ride !
???
Le jour où la femme que j’aimais m’a quitté je fus très malheureux non pas parce qu’elle refusait d’être mon objet gratifiant pour devenir celui d’un autre se soustrayant ainsi à mon action mais parce que la femme que j’aimais me quittait. Vu comme ça c’est plus simple.
Bien vu, bien dit ! ?
C’est vrai. N’empêche….
Dans la génération précédente le biologiste Jean Rostand avait déjà défriché le terrain que Laborit a labouré en profondeur, illustrant en quelque sorte les intuitions Schopenhaueriennes éternelles sans rides. « Eloge de la fuite » pourrait être republié aujourd’hui pour une jeune génération désabusée qui le découvrirait, à moins qu’elle ne soit devenue amorphe. Le lobby féminin, titulaire du passe magique « AMOUR » castrateur qui cloue les becs, en serait à peine contrarié; les rats de labo se shootent à l’amour et s’entretuent avec tout autant de convictions, l’un n’allant pas sans l’autre, comme deux faces d’une même pièce.
Votre manière de remettre dans le contexte actuel la « grille » Laborit est impeccable, celle-ci apparaît toujours nouvelle après presque cinquante années et beaucoup d’oubli… ?