Patrick Corneau

Donnez la parole à la minorité de vous-mêmes. Soyez poètes. Francis Ponge

Il y a quelques temps, j’ai fait parler certaines piles de livres qui ont livré les affres de leur condition existentielle. Mais j’ai omis de citer la plus discrète : la pile de livres de poésie – sans doute parce que par délicatesse, elle n’élève pas trop la voix.
Je lui rend justice aujourd’hui et la présente de bas en haut, selon les étapes de sa construction.

Grünewald, le temps déchiré de Françoise Ascal, éditions L’herbe qui tremble
La découverte du retable d’Issenheim, à Colmar, œuvre du peintre Mathias Grünewald, fut un événement marquant dans la vie de Françoise Ascal. De ce choc est né le long poème Grünewald, le temps déchiré.
Entre 1994 et 1996, le peintre Gérard Titus-Carmel, avec lequel Françoise Ascal a déjà collaboré, a réalisé un vaste ensemble de dessins intitulé Suite Grünewald. Quelques-uns d’entre eux accompagnent le poème. Ces deux lectures — écrite et picturale — entrent ici en résonance. L’une comme l’autre témoignent d’une âpre confrontation avec la radicalité du chef-d’œuvre de Grünewald.

P’tit Bonhomme de chemin de Florence Trocmé, éditions LansKine
Florence Trocmé reprend ici à son compte un récit méconnu de Jules Verne, P’tit Bonhomme, qui relate le périple d’un orphelin au temps de la domination anglaise et des famines en Irlande, au XIXe siècle. Elle en réécrit l’histoire en vers justifiés et fait entendre en contrepoint toutes sortes de voix, personnelles et documentaires.

Le paysage après Wang Wei de Michèle Métail, éditions LansKine
Ce texte a été écrit après un voyage en Chine de Michèle Métail, il commence par l’étude du recueil poétique de Wang Wei poète, peintre, et musicien chinois de la période Tang, avant de prendre forme dans la réalité. Confrontation donc d’un paysage passé et actuel – écho (reflet ?) avec les vingt vues et les vingt quatrains de Wang Wei.

Le temps des arbres de Mireille Gansel, éditions La Coopérative
Mireille Gansel observe les arbres qui l’entourent, ceux qu’elle rencontre dans ses marches à travers les villes, elle se souvient aussi des forêts de tous les pays qui ont marqué son parcours de poète et de traductrice, de l’Allemagne au Vietnam.

L’espoir musicien d’Alain Lévêque, éditions La Coopérative
Le titre de ce recueil est emprunté à un poème dans lequel Alain Lévêque évoque la scène de La Flûte enchantée de Mozart où le couple princier traverse les épreuves du feu et de l’eau. « Quel guide tu fais, Pamina, sur les chemins du cœur ! » s’écrie le poète, s’adressant à la jeune fille qui a su dire « non à la peur, oui à la vérité ».
De poème en poème, le lecteur suivra ici un chemin qui, à l’écoute de la voix du poème, cherche de même à conjurer la peur et à saisir le vrai.

En découdre d’Isabelle Lévesque, éditions L’herbe qui tremble
C’est de la nuit, comme du blanc de la neige, que viennent les poèmes d’En découdre. Ils chantent l’amour, un don de la vie qu’il faut sans cesse raviver, enflammer, pour que la nuit et le froid, comme la nature au printemps, « empoign(ent) ce qui serait lumière » et en perpétuent l’écho dans les corps amoureux le temps d’une vie.

André Breton et sa malle d’aurores de Joël Cornuault, éditions Pierre Mainard
« Quoi de plus émouvant, quoi de plus électrisant dans la poésie et la philosophie surréalistes d’André Breton que la métaphore du signe ascendant ? », interroge Joël Cornuault dans son essai. Elle est capable de conduire, poursuit-il, « droit au cœur de la sensibilité personnelle d’André Breton. Et dans le secret de sa conception du surréalisme ».
Pourquoi, dans ces circonstances, « un thème magnifique, demeuré en pleine effervescence », est-il généralement si méconnu ?
Telle est la question qui sous-tend l’ensemble de ces réflexions passionnées et que l’on retrouve dans la revue Des PAYS HABITABLES (Naïveté – Utopie – Exubérance).

Le vent la couleur de Jean-Pierre Vidal, éditions Le silence qui roule
Le vent rude et persévérant
épuise et vide ma tête
je titube et je me sens bien
je perds mon épaisseur
de douleur et d’amour.

Comme traversé sans trêve
par l’élément insoucieux
plus sûr dans son égarement
que ma cervelle volontaire.

Un instant l’amour et le vent
annulent leurs forces
et je deviens ce vide heureux.

Poèmes et écrits sur la poésie de Stefan Zweig, bilingue – traduit de l’allemand par Marie-Thérèse Kieffer, préface de Gérard Pfister. Éditions Arfuyen.
Stefan Zweig a beaucoup écrit sur la poésie et les poètes mais on l’ignore trop souvent, il a écrit des poèmes toute sa vie. Ces textes ici réunis (et, pour les poèmes, traduits pour la première fois en français) constituent le journal d’une vie, la « vie rêvée » de ce poète qu’il brûlait d’être et qu’il est mort, peut-être, de n’avoir pu être pleinement.

Hautes huttes de Gérard Pfister, Éditions Arfuyen.
Cet homme seul sur la montagne des Huttes, comme abandonné au bord du vide, c’est le poète-philosophe Li Po, mais c’est aussi l’auteur. Un être sans cesse en déséquilibre, effrayé par la mort et comme incapable pourtant de vivre – c’est aussi nous, lecteurs. Pourtant la vie est là, à portée de main, et sans cesse nous la fuyons. Pire, nous la souillons, la détruisons, comme si, de ne pas savoir en jouir, nous l’avions prise en haine. Hautes huttes est le dix-neuvième opus poétique de Gérard Pfister.

D’une diffusion d’abord confidentielle, les éditions Le Cadran ligné se développent lentement en raison d’une forte exigence de qualité. Pas de ligne éditoriale revendiquée sinon les goûts et préoccupations poétiques forcément subjectifs de son animateur Laurent Albarracin qui nous propose cet automne trois nouveaux titres : Boris Wolowiec, Victor Rassov et Christian Viguié.

LRSP (livres reçus en service de presse).
Illustrations : (en médaillon) photographie ©LeLorgnonmélancolique / éditions Le Cadran ligné.

Prochain billet le 11 octobre.

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Patrick Corneau