P

Piles, colonnes et course ascensionnelle…

Patrick Corneau

Singulière présence (sérendipienne?) que les piles de livres posées ça et là. Étrange côtoiement de textes amis dont la proximité est rassurante, réconfortante comme des talismans et des textes « en attente de lecture » dont certains ne seront jamais ouverts. Car défaits par le manque de temps, les sollicitations nouvelles, les engouements passagers – ils seront ouverts, feuilletés, parcourus, caressés puis reposés avant d’être déplacés dans la bibliothèque, définitivement refermés sur leur mutisme et renvoyés à l’oubli.
Ceci étant, je dois aborder un sujet délicat : il y a une GUERRE DES LIVRES.
Les livres se livrent entre eux à une lutte sans merci dont je suis le témoin effaré… Je reçois des livres qui se retrouvent répartis en fonction de critères assez obscurs en divers endroits de la pièce où je travaille, certains plus stratégiques que d’autres quant à la vie de ces visiteurs (dont certains ne feront que passer). En règle générale ils attendent. D’où les piles… Ils poireautent dans des empilements d’autant plus branlants qu’ils sont plus hauts… les piles sont de fières tours qui se jouxtent, se jaugent et dont les occupants les plus élevés considèrent avec mépris ceux qui les supportent (et qu’ils écrasent) ou qui les côtoient, car convaincus qu’une main ne va pas tarder à les enlever et leur accorder le regard qu’ils estiment mériter. Les pauvres ! Ils ne savent pas qu’un (ou plusieurs) arrivant(s), un pistonné, un outsider peut à tout moment les détrôner, les rétrograder dans la colonne. Alors tous les moyens sont bons pour attirer l’œil : couverture avec bandeau aguicheur, format et épaisseur imposants, certains s’entrouvrent pour laisser deviner de subreptices délices (une dédicace, un feuillet Hommage de l’auteur absent de Paris, un mot personnel de l’éditeur, un marque-page gracieusement offert…).
L’horreur c’est la main ménagère, la candide main rangeuse qui vous exclut d’une pile très favorable, où ça bouge bien, pour vous exiler sur les piles esseulées dont je parlais plus haut où se joue une possible relégation en bibliothèque, ou pire, celles (rares) et terminales où se prépare pour le surplus non grata l’expulsion hors de l’appartement*.
L’honneur insigne est de se pavaner avec quelques élus sur le canapé rouge, lieu de lecture, d’écriture et, possiblement, de gloire…

* Certains finiront discrètement « oubliés » sur les rayonnages d’une médiathèque de quartier…

Illustrations : Photographies ©LeLorgnonmélancolique.

Prochain billet le 1er septembre.

Laisser un commentaire

Patrick Corneau