Pour R. J.
– Fasciste.
– Idiote.
– Tu l’es, tu l’as toujours été.
– Non, fichiste à mes heures et vichyste pour l’eau…
– Tu as trahis.
– Qui ?
– Moi, tout…
– Toi et tout cela fait une grosse différence. Toi plus le tout, c’est beaucoup dans la barque d’un seul homme.
– Un homme qui lit et admire Paul Morand n’est pas fréquentable !
– Je l’ai assoupli en lisant Chardonne, j’ai fait entrer des relents de vieux placards de maisons de province dans les lugubres salons guindés de l’avenue Charles-Floquet…
– Hum… c’est de l’air très confiné.
– Une fille qui écoute et admire Michel Sardou n’est pas sortable.
– Aujourd’hui j’écoute Benjamin Biolay…
– C’est pire.
– Crypto-fasciste.
– Néo-idiote.
– Pourquoi « néo » ?
– Tu ne l’as pas toujours été.
– Merci.
– J’ai vu ton ex-mari avec son infirmière de femme. C’est un petit vieux très affable.
– Maintenant je peux lui parler.
Elle me jette un sourire en coin derrière ses lunettes de myope, les verres rapetissent et dédoublent ses pupilles. Je soulève mon lorgnon, je la vois floue. Elle serait presque belle.
– Bouffon.
– Crevure.
– Tu m’écriras ?
– Oui.
– Tu as mon adresse ?
– Non.
– Tu la veux ?
– Non.
– Méchant !
– L’addition est pour moi.
Elle se lève et quitte le café dans un grand mouvement de gestes, d’air et de fierté narcissique. Reste la trace d’un parfum de femme mûre. Un silence réprobateur. Je me replonge dans les Minima Moralia et trouve cette phrase qu’elle aurait sûrement approuvée : « la glorification du caractère féminin implique l’humiliation de toutes celles qui le possèdent. » Quel grincheux génial cet Adorno !
[Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.]
Illustration : affiche de l’illustrateur Jef de Wulf.