Patrick Corneau


Choses vues, lues, entendues ça et là et notées pendant le grand renfermement.

Entendu : « Mieux vaut être confiné que con fini ».

 

L’enfer sanitaire est pavé de bonnes inventions.

 

Le virus qui en dévore un autre projette sûrement la domination de l’atome.

 

La présentatrice annonce le nombre des admis en réanimation et des morts avec le visage d’une hôtesse de l’air qui donne l’heure d’arrivée et la température extérieure.

 

La situation tel un mauvais film dramatique prend au fil des jours le chemin du comique.

 

Les micros des journalistes emballés dans du plastique.

 

Marlène Schiappa déclare que « le harcèlement de rue reste évidemment interdit pendant le confinement. »

 

Un reportage montre la fille du célèbre narcotrafiquant El Chapo, distribuant des masques à l’effigie de son père dans les bidonvilles de Guadalajara.

 

Lu dans le journal La Croix qu’un « chemin de prière » va être parcouru tout au long du mois de mai (le mois de la Marie) : trente et un jour « pour marcher avec Marie » et pour demander son intercession « pour dépasser la crise sanitaire actuelle ».

 

Vendredi 1er mai le pape François a prié pour que les travailleurs soient « justement rétribués », pour qu’ils exercent leurs emplois dans des conditions dignes et puissent jouir « de la beauté du repos ». Il a prié aussi « pour ces bons entrepreneurs qui ne veulent pas licencier les gens, qui gardent les travailleurs comme s’ils étaient des enfants. »

 

Images récurrentes de patients guéris sortant sous les applaudissements du personnel soignant. Une unique séquence de sept secondes sur les invisibles qui quittent les EHPAD par une porte de service (pudiquement bâchée) où attend un fourgon mortuaire.

 

Une femme entre dans le restaurant d’entreprise où quelques collègues déjeunent seuls à des tables séparées et s’exclame : « C’est surréaliste, non ? ».

 

Le gouvernement attend la fin du confinement pour annoncer la date du déconfinement.

 

Distribution de masques jaunes fluo pour les sorties nocturnes ?

 

Il y a plus de femmes qui applaudissent sur les balcons que d’hommes.  Ceux qui n’applaudissent pas seront-ils invités à la « fête des voisins » (reportée au 18 septembre 2020) ?

 

Arielle Dombasle et Bernard-Henri Lévy ont décidé de vivre leur confinement dans leur appartement parisien « par solidarité ».

 

Jair Bolsonaro fait du jet ski sur un lac de Brasilia au Brésil (230 000 contaminés au Covid-19 et 15 000 morts).

 

Annonce de manifestations de Gilets jaunes « respectant les conditions sanitaires et la distanciation sociale ».

 

L’impertinence du virus qui s’obstine à revenir comme si nous n’avions pas compris que la joie de vivre était finie.

 

Devant la vitrine de mon libraire, regardant les livres derrière la grille baissée et n’ayant plus enfin à lutter pour ne pas entrer, j’ai senti la fascination mystérieuse de leur pouvoir. Oui, ces livres où s’entrecroisent les traces de l’esprit ne sont pas seulement des pages imprimées avec un titre accrocheur, cousues ensemble dans un volume : ILS  VIVENT, ils communiquent d’autres contenus d’essence fluidique même si on ne les feuillette pas. Ils versent au moyen d’une pure et fantastique opération de magie blanche au passant qui les regarde l’étrange sensation d’être libéré de la croix de n’être rien au milieu de la ville, des bruits et des gaz épouvantables. Oui, l’absolue certitude d’être délivré de la honte de n’être rien d’autre qu’un agrégat de pauvre matière qui chemine.

 

Le « monde d’après » : que de marchands d’images pieuses ! C’est à celui qui proposera la plus rutilante, la plus brillante, donc la plus fausse.


Notre nouveau monde : la « distanciation sociale », les « gestes-barrières », etc. Crainte chez certains d’une dégradation du vivre-ensemble. Pourtant l’évitement relationnel n’était-il pas dans l’ancien monde le modèle de civilité qui rendait possible la courtoisie entre les individus et la paix entre les peuples ?


Nous désirons un après qui soit différent tout en craignant de perdre les acquis de l’avant.

 

« Une cage s’en fût à la recherche d’un oiseau. » (Kafka, Considération sur le péché). Une belle image pour décrire l’individu déconfiné et… déconfit.

 

Orgueil raffiné de la résignation ou servitude volontaire assumée ?

 

On sent frémir le vent des déserts futurs ; attente d’une catastrophe qui laisse indifférent*.

* « L’avenir appartient aux désespérés, qui doivent leur désespoir à des raisons rares et sublimes. Personne ne les consolera. Et la lumière brille dans les ténèbres. Et les ténèbres ne les atteignent pas. » Guido Ceronetti, Insectes sans frontière, éditions du Cerf, 2019.

Illustrations : photographies prises à Ménilmontant 75020 ©Lelorgnonmélancolique.

Prochain billet le 22 mai.

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Patrick Corneau