Patrick Corneau

On n’écrit plus comme Jean Blot. Qu’on me permette cette rosserie, cette vexation à l’égard du tout venant littéraire, pour lequel la recherche du style n’est vraiment plus au niveau d’exigence de quelques grands aînés. Lire Jean Blot, c’est retrouver la belle prose d’antan, la phrase élégamment littéraire, le plaisir des mots placés là où une musique soudain se fait entendre. Il y a parfois des tournures, des images au style un peu compassé, certes. Mais quel charme! Jean Blot est un enchanteur.
Voici sept nouvelles qui, de New York à Corfou jusqu’au Sud de la France, nous transportent dans un ailleurs, une familière étrangeté. La plupart de ces Récits de jeunesse paraissent en effet « exotiques » à nos yeux pas seulement par l’écriture. Pour une terrible raison: ils font émerger des moments de vrai pur bonheur existentiel, des instants où la vie sourit (même dans le tragique de la mort annoncée comme dans « Week-end à Corfou »). Or si le bonheur ne prend pas de rides, en revanche il peut s’éclipser, il peut s’absenter de nos vies, disparaître du monde tel qu’il tourne (et mal) sous nos pieds. C’est la mauvaise nouvelle que la prose radieuse de Jean Blot vient nous apporter. Les livres du bonheur sont une sorte de « dysangyle » pour nos temps de déréliction. Ce bonheur-là – fait d’insouciance, de confiance en la vie, de liberté de mouvements et de sentiments, de plénitude de l’instant présent – l’Europe l’a perdu. Ces vies « comme une longue journée heureuse » ne sont plus que souvenirs. C’est un peu comme de lire Paul Morand ou Valery Larbaud. À déguster ces existences menées à grandes guides, pleines de couleurs et saveurs où l’amour guette, qu’il soit celui de la rencontre inopinée (« Le bel amour ») ou celui immémorial de la réconciliation des sexes et de l’entente conjugale (« Madame Marion », « Post-scriptum – récit tardif »), nous prend une irrépressible mélancolie. La mort rôde (la guerre, la maladie, le suicide, la ville devenue folle comme dans « Parking »), mais ces vies n’en ont que plus de prix.
Ces textes écrits donc pendant la jeunesse de l’auteur, montrent que celui-ci était en totale possession des moyens de sa vocation. Une intensité, une exigence mais aussi une légèreté, un allant qui distinguent le primo-récit de celui qui viendra plus tard. Un peu à part, le premier texte « Les étrangers » a plus l’apparence d’une parabole philosophique et m’a rappelé la manière des premiers récits d’Ernst Jünger. Dans la postface, Jean Blot raconte avec humour l’accueil qui lui fut fait par Jean Paulhan, « la littérature même, le grand prêtre de la NRF qui interdisait ce lieu sacré mais gardait le pouvoir de vous y accueillir. » Et de nous faire part de son ahurissement devant cette « élection » : « En poste à Genève, je pris le train pour Paris. Je fus très bien reçu et, de sa voix et son accent chantant inoubliables, le grand maître répéta « admirable, admirable! ». Je sortis sur des nuages. L’essentiel était acquis, il ne me restait plus qu’à attendre la publication. Je l’attendis trois ans. »
Et Jean Blot de préciser: « Certains de ces récits ont paru dans des revues. D’autres voient le jour pour la première fois. C’est que, les ayant relus, ils m’ont paru ni mal écrits, ni admirables mais intéressants. Il me reste à espérer que le lecteur partagera mon opinion et souhaiter bon voyage à mes récits de jeunesse. »
N’attendons pas trois ans pour lire ces délicieux récits et écartons les craintes de Jean Blot: ce qu’il nous offre est beaucoup, mais beaucoup mieux qu’intéressant. Outre un réel plaisir de lecture, nous permettre de prendre par contraste la mesure de ce qu’est devenu le fait et le dire littéraire aujourd’hui…

Récits de jeunesse de Jean Blot, Collection « Les Cosmopolites », Éditions La Bibliothèque, sortie le 24 mai 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)

Illustrations: photographie Hassane M’béchour – Radio France / Éditions La Bibliothèque.

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Patrick Corneau