Patrick Corneau

Voilà un livre inattendu, proprement in-ouï. Un livre qui n’est peut-être pas tout à fait un livre. Un livre—objet-littéraire-non-identifié. Un livre-mémoire. Un poème-livre. On peut envier l’éditeur d’avoir reçu une telle offrande. Oui, parfois les écrivains font d’insignes cadeaux aux éditeurs qui ont la charge de nous les offrir ensuite. Tel est Maison d’âme de Mireille Gansel.
Longtemps collaboratrice à La Quinzaine littéraire, Mireille Gansel est traductrice « nomade » de poètes vietnamiens et allemands (elle a notamment traduit tout l’œuvre poétique de Nelly Sachs ainsi que la correspondance entre Nelly Sachs et Paul Celan). Elle est aussi écrivain* et Maison d’âme est le troisième livre que publie La Coopérative après Une petite fenêtre d’or (2016) et Comme une lettre (2017).
Quoi qu’écrive Mireille Gansel, poèmes, récits de voyages, c’est avant tout un art d’habiter le monde par la parole. Habiter le monde par et dans la rencontre. Rencontre de ceux, hommes, bêtes, paysages qui sont fragiles et menacés, mais aussi de tout ce qui témoigne des forces invincibles de la vie à se perpétuer, à préserver la mémoire des êtres et des lieux.
« Maison d’âme » est l’autre nom que Mireille Gansel donne au poème « où une voix a chanté pour toi et parlé tout bas là où il y avait les silences et trop de douleur« . « Toi » c’est le proscrit, le banni, celui que nous appelons « déplacé », « migrant », « réfugié », dénominations versatiles qui en disent davantage sur nous que sur ceux qui cherchent un accueil. On pourra être surpris par la succession toute syncopée de ces pages, aux phrases sans ponctuation (pour ne pas ralentir l’écoulement des mots), rompues de silences inattendus où le sens est mis en résonance et vient parfois comme en résilience d’anciennes douleurs. On avance, happés dans ces petits tableaux narratifs, ces vignettes poétiques, comme sur un chemin de montagne entre des précipices où le temps creuse la mémoire d’instants ou de visages perdus et des rencontres où se donne à lire le mystère d’une présence habitée par la force d’un geste (peintre, musicien) ou d’une parole (écrivain, poète, éditeur, décideur culturel) qui sont bien souvent des actes de résistance à la violence des temps.
« Comme une lettre » est la tournure que Mireille Gansel utilise à plusieurs reprises pour s’adresser à quelques personnes remarquables – cette expression est emblématique de la nature et de la forme de ce livre inclassable. Maison d’âme est « comme » un poème, « comme » des mémoires, « comme » un hymne à l’hospitalité, « comme » une célébration de la maison où la porte est ouverte à « tous les venants », « comme » une défense et illustration des langues comme ponts entre les hommes. C’est tout cela et sans être cela non plus. À l’évidence ce qui prime ici c’est une voix venant non d’un livre mais d’une vie intense, porteuse d’un goût prononcé pour les paysages et les joies – même modestes – que peuvent offrir la vie et la conversation, d’une âme inquiète aussi, en quête fervente d’un lieu d’accueil pour y partager les valeurs essentielles qui font l’humanité. Célébration de la splendeur du monde dans ses éclairs de beauté et éclats de souffrance accueillis dans l’unité consolatrice d’un regard profondément habité par l’humain. Telle est Maison d’âme.
Dans un petit mot qui accompagnait le livre, Jean-Yves Masson, l’éditeur, me demandait si je serai « sensible à ses thèmes et à son écriture« . Je me tourne vers le lecteur avec la même question et le pressentiment d’une réponse plus qu’hospitalière.

*Mireille Gansel a publié aux éditions Calligrammes Larmes de neige (poèmes, 2006), Chronique de la rue Saint-Paul (2010) et Traduire comme transhumer (2012).

MAISON D’ÂME de Mireille GANSEL, Éditions de la Coopérative, 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)

Illustrations: photographie ©Lelorgnonmélancolique / Éditions de la Coopérative.

 

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Patrick Corneau