Patrick Corneau

Malaise dans le monde des méchants, des brutes et des laids: survient la naissance d’un rejeton indiciblement beau!
Problème chez les vilains sorciers: que faire d’une petite sorcière sur laquelle les fées semblent s’être penchées pour la douer de toutes les qualités positives donc enviables possibles?
Autrement dit que se passe-t-il quand les valeurs du Beau et du Bien viennent contrarier, bafouer l’axe du Mal? Tel est l’argument de Belladone, singulière histoire à « rêver debout » illustrée par Morgane Arrouays sur un texte de Bruno Roza que viennent de publier les Éditions de la revue Conférence. Comme toujours chez cet éditeur un beau livre-objet avec un texte intelligent, subtilement impertinent, venant subvertir le gnangnanland de la littérature dite « de jeunesse » souvent imprégnée de niaiserie humanitariste.
Donc reprenons, Balbuzard et son épouse Tourmentine, couple de sorciers à l’âme plus noire que noire sont consternés par la candeur de leur petite Belladone et vont tout mettre en œuvre pour en éclipser, occulter l’éclat. Candide, Belladone l’est, au point d’ignorer l’ampleur de sa propre beauté – dont le reflet lui a été soigneusement caché – beauté qui va croissant car l’ingénuité, l’absence de vanité sont les meilleurs atouts du perfectionnement. Scandaleusement belle et pire, douée, Belladone, isolée et dissimulée aux yeux de tous, devient rapidement une sorcière accomplie: experte en potions, elle devance même ses géniteurs… Tout irait au plus mal dans le pire des mondes, si ne survenaient les cent-soixante-dix-neuf hivers de la pucelle, anniversaire qui la met en âge de se marier. Grâce à quelques sortilèges, une fête est organisée. Mais quel prétendant voudra d’une jeune sorcière… « affreusement belle »!?
Je ne vous conterai pas le happy end de cette histoire, vrai coup de théâtre dans ce monde où tout est cul par dessus tête. Seulement que la veille du bal, nuitamment, notre déb’ va faire une découverte capitale et commettre un geste irréparablement… bénéfique. Non, non, je ne dirai rien. Mais j’évoquerai la morale implicite de l’épilogue en citant Einstein (si, si…) lequel remarquait qu’en plein cœur de toute difficulté se cache une possibilité. Et même (ô quel cuistre!) Hölderlin: là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. S’il y a un peu de philosophie à extraire de Belladone (je m’avance prudemment), c’est indubitablement la valeur et la santé du relatif: une chose peut en cacher une autre et il n’est jamais bon de rester au premier degré des situations, des événements…
Vous l’avez compris ce petit conte de fée-sorcière plein d’une poésie « abracadabrante » est d’un optimisme joyeux et revigorant que le pinceau inspiré de Morgane Arrouays vient bellement conforter. Chez petits et grands, il encouragera ceux qui ont envie de comprendre, par delà toute adversité, ce qu’il convient de choisir et d’aimer… sans attendre cent-soixante-dix-neuf hivers!

Belladone par Bruno Roza (texte) et Morgane Arrouays (illustrations), Éditions de la revue Conférence, un volume relié, couverture cartonnée au format 16,5 x 22 cm, en librairie le 18 mai. LRSP (livres reçus en service de presse)

Illustrations: Dessins de Morgane Arrouays, ©Éditions de la revue Conférence.

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Patrick Corneau