En ces temps troublés, ce n’est pas le rhinocéros qui s’avère être l’espèce la plus menacée. C’est l’homme – meilleur prédateur de lui-même. Et pour nous Français, la langue. Ou plutôt comme la désigne Jean-Michel Delacomptée Notre langue française avec un « notre » qui intensifie la valeur du bien en partage comme chez Péguy avec son Notre patrie (1905).
Il faut tenir Jean-Michel Delacomptée comme l’un de ces lanceurs d’alerte et protecteurs de notre langue maternelle que nous devrions cesser de ne point entendre. L’originalité de son essai, Notre langue française, est qu’il s’attache davantage à explorer les contextes à travers lesquels notre idiome se manifeste et montre des signes tangibles de dépérissement qu’à entonner une fois de plus le grand air du tout fout l’camp. L’auteur ne se prive pas néanmoins de quelques colères ciblées, argumentées, documentées contre l’écriture dite inclusive (« machine à exclure », « Frankenstein scripturaire »), la servitude volontaire au globish, ou encore la fin de la chanson digne de ce nom. Mais surtout il s’insurge contre la mauvaise littérature, principalement le roman dont il montre comment et pourquoi ce genre est sorti de la littérature pour devenir un produit de consommation au style moyen, écrit dans une langue atone, pâle et paresseuse, sans qualités au sens de « l’homme sans qualités » de Musil. Les causes sont pointées sans ménagement: elles sont culturelles et civilisationnelles, elles correspondent à « l’américanité » telle que l’a définie Régis Debray, soit « la primauté de l’espace sur le temps, de l’image sur l’écrit et du bonheur sur le drame de vivre. »
Responsables aussi, les nouvelles modalités de lecture: « Tributaires du zapping, de la difficulté à se concentrer, du glissement spontané d’une activité à une autre, de la connexion permanente à un ailleurs dévorant par le biais des mails, smartphones, tweets, SMS, etc., les modalités de lecture désagrègent l’attention à la langue.«
Ce livre se révèle être exemplairement le fruit d’un écrivain qui nous entretient avec une extrême élégance de l’écriture et de la parole, célébrant avec des mots vibrants « l’antique noblesse » et « le haut lignage » de ce français que nous devrions avoir en partage. Et ce n’est pas sans risque que Jean-Michel Delacomptée, grand admirateur de Bossuet, rappelle le pacte passé par notre langue avec la beauté ainsi qu’avec le sentiment religieux: « Tel est l’axiome: la langue possède une identité, un esprit, un « génie », qui réclament qu’on la respecte sous peine de la violer.
Ce génie, la religion chrétienne l’a modelé. On risque gros à le déclarer. En nos présentes années de tolérance qui se plaisent à claquer le bec aux impudents, rien de plus conseillé, pour recevoir le bâton, que de chanter les grandeurs esthétiques du christianisme. On court droit aux cris d’orfraie, au crime de lèse-République laïque, comme si la laïcité républicaine interdisait formellement de louer les mérites de l’Église. Alors, que vient donc faire dans cette galère un homme de mon espèce, résolument athée, jamais baptisé, fils d’une juive bourguignonne et d’un père picard au nom de noblesse d’Empire, tous deux à gauche de plain-pied, enfant d’une banlieue encore rurale, familier du langage des rues, mais qui, pétri de la littérature cultivée en famille et dans des lycées de province avant des établissements parisiens, n’a de cesse de vanter ce que notre langue doit à la religion chrétienne, déplorant que dans nos temps âprement profanes cette langue des hauts plateaux ait décru vers les basses terres? Scribe sans autre prétention qu’un style fidèle aux ancêtres, par conséquent démodé, périmé, fossilisé selon les modernistes en plomb massif, bien que ce style issu du corpus sédimenté de notre langue trempe de la tête aux pieds dans l’idiome contemporain, je rejoins sans hésiter le Génie du christianisme où Chateaubriand cherchait à prouver ceci: que « de toutes les religions qui ont jamais existé la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres« ; que, pour réfuter les contre-vérités des sophistes, « elle donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste« . Glissons sur les sophistes: mécréant, j’en fais partie. Mais les accointances de notre langue avec la sainte Bible, ses paraboles, ses images, avec les espaces infinis de la foi, lui ont prodigué des dispositions évocatoires où l’immense, l’indicible, le beau et son culte augmentent l’âme de ceux qui la lisent. »
Ce livre dépasse le simple plaidoyer, c’est une supplique adressée aux yeux et aux oreilles des Français et des mondes francophones: n’abdiquons pas devant la standardisation, l’obsession de l’égalité par le bas, l’imposition d’une novlangue asservie aux impératifs économiques, techniques, commerciaux. Il n’y a plus de « notre » langue française: le lien affectif est globalement coupé. La progressive rupture du lien historique qui unissait notre langue à ses origines politiques, religieuses et littéraires va, dans un proche avenir ruiner sa vigueur, son identité, son génie propre. Plus grave, si nous continuons à saccager la langue* (« premier véhicule de communauté entre les citoyens« ) nous détruirons avec elle non seulement notre idéal républicain, mais notre civilisation elle-même.
Lisant Jean-Michel Delacomptée – que l’on ait la fibre littéraire ou pas – s’impose l’évidence que la langue est un bien inestimable, inaliénable et d’essence spirituelle que nous recevons comme une chose due. Nous en sommes débiteur et devons la cultiver, la protéger contre vents et marées; si ce n’est notre seule raison d’être au monde, c’en est une raison première et c’est notre devoir de vivants.
* Heureusement, quelques rares hommes politiques, maintiennent haut l’exigence de perfection de la parole de l’État dont le peuple sait qu’elle lui renvoie son image.
Notre langue française de Jean-Michel Delacomptée, Fayard, 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)
On écoutera avec profit l’émission « Répliques » du 31/03/2018 intitulée « La langue française: état des lieux » au cours de laquelle Alain Finkielkraut recevait Alain Borer (De quel amour blessée) et Jean-Michel Delacomptée pour Notre langue française.
Invité à la Grande librairie du jeudi 19 avril sur France 5, la discussion fut vive avec Jean-Michel Delacomptée, François Busnel, sur la défensive, ayant peut-être le sentiment de contribuer dans son émission à la promotion de romans sans littérature, formatés pour un public qui ne conçoit la lecture que comme une distraction pour passer un agréable moment…
Illustrations: photographie ©Lelorgnonmélancolique / Éditions Fayard.
Non Emmanuel Macron n’hésite pas à reprendre les manies actuelles et parler en glissant les mots de l’informatique et des stratup (?) l’anglobish et la novlangue. Quant à ses discours, c’est parce qu’ils sont écrits (au double sens du terme) qu’ils ont belle apparence, c’est la moindre des choses non? compte tenu de sa fonction et de sa formation? et en « entretien », il ne maîtrise pas toujours la structure de ses phrases, mais, là on lui pardonne (sauf la longueur) parce que, et j’en préviens l’objection, le fond dans ce cas, est plus important que la forme, la sienne restant toujours au-dessus de ceux qui l’entourent ou le représentent. Mais quel impact réel la phraséologie d’un président sur le pays réel ?
Le livre de JM Delacomptée est fort aimable, parce qu’il s’en tient à des évidences d’honnête homme, qui ne sont pas de nature à faire bouger les lignes. L’émission de Finky l’a bien montré. Alain Borer qui a tenté de ne pas entrer dans ce choeur des lamentations -qu’il a depuis longtemps dépassées, c’est stérile- n’a pas pu développer ses propos. Qu’il a formulés depuis 2014, dans son livre « de quel amour blessée » . Et JM D lui en a « piqué » quelques-uns, en douce.
Quant à la question des racines chrétiennes de la langue…. c’est l’enclore dans une mission mystique a posteriori. Sans la moindre efficacité pour « réparer » ce qui est brisé, à quoi l’on doit s’attaquer -un programme d’enseignement du français par ex. la réhabilitation de la grammaire, de l’analyse logique ; introduire l’étude de l’étymologie etc… etc…. toutes choses qui méritent un regard sans complaisance- et non pas ce genre de propos qui fait les yeux doux à la religion. Même si ce n’est pas le fond de la pensée de JMD, c’est ainsi que c’est reçu. Allez en parler à des enseignants de classes primaires pour commencer, et aux autres en fin de parcours… non seulement ces belles paroles n’ont aucun effet, mais je crains qu’elles aient un effet inverse. Il faut (quand même un peu) se mesurer au réel… et pour arrondir cette dernière formule, et qu’on ne me fasse pas un mauvais procès, j’ajoute être la première à dénoncer le rôle absolument calamiteux de l’Education Nationale -elle est quand même en première place (et même la seule) pour apprendre systématiquement l’usage et les règles de notre langue. Ce qu’elle ne fait plus.
http://pascalebussonmartello.over-blog.com/
2018/04/ce-beau-francais-que-ne-daignez-apprendre.html
http://pascalebussonmartello.over-blog.com/
2017/10/une-sorcellerie-evocatoire.html
Je n’ai piqué « en douce » aucun propos de mon ami Alain Borer, dont je cite par deux fois l’ouvrage avec la reconnaissance qu’il mérite. Quant aux programmes d’enseignement du français, j’ai pu, à l’université de Saint-Denis pendant douze ans, en mesurer les carences et les tares. Que j’ai dénoncées dans « Notre langue française » et ailleurs, comme tant d’autres observateurs de la situation. Donc : » réhabilitation de la grammaire, de l’analyse logique ; introduire l’étude de l’étymologie etc… etc…. toutes choses qui méritent un regard sans complaisance » : c’est une évidence mille et mille fois assénée sans que les lignes aient, malheureusement, beaucoup bougé jusqu’ici. Mais ne désespérons pas !
J’essaie de comprendre pourquoi l’affreuse, la ridicule écriture “inclusive” est utilisée uniquement par les militants d’extrême-gauche. Je suis heureux que mon avis sur ces gens soit corroboré par cette pratique mais cette exclusivité me laisse perplexe. Si vous vouliez éclairer ma lanterne j’en serais bien aise.
Pas seulement d’ « extrême-gauche », Serge… D’une phrase : parce que c’est une position, une posture, exclusivement (!) idéologique. Et d’un peu plus d’une phrase, l’idéologie, en lieu et place du raisonnement éclairé par de sources fiables, mène à des principes. L’écriture dite inclusive n’est pas seulement affreuse et ridicule, elle est hors propos. Nous avons, en français, plusieurs moyens -syntaxiques, grammaticaux, orthographiques, ensemble ou séparément- de signaler à notre interlocuteur ou notre lecteur que nous nous adressons à un homme ou à une femme, individuellement ou en groupe. Et nous avons aussi, mais cela les idéologues ne l’entendent pas, des mots épicènes. Ni masculin, ni féminin. « artiste » par ex. Le masculin grammatical n’ayant aucun effet sur le sexe de la personne (vous remarquerez que ce mot est « féminin »), on dit masculin non genré. On préfère saucissonner l’écriture -qui devient absolument illisible, bonjour l’apprentissage, et l’écriture en braille! c’est un étudiant aveugle qui me l’a fait remarquer- plutôt que renoncer. Récemment, j’ai lu « i-e-ls »… quelques moments avant de réaliser qu’il s’agissait de « ils » et « elles ». C’est au-delà du ridicule. C’est impraticable. Et je me demanderai toujours ce qu’il en est de l’égalité des hommes et des femmes pour les pays où la langue ne pose jamais la distinction (l’anglais par ex, langue « universelle »….) puisqu’il n’y a pas de masculin et de féminin grammaticaux : my friend. Pas de réponse du côté de nos idéologues. Allô???