Vous qui croyez en « pas d’amalgame » et ne sauriez dévier de l’autoroute mentale et intellectuelle définie par les quatre évangiles des opinions chics (Le Monde, Le Nouvel Observateur, Télérama et Les Inrockuptibles) passez votre chemin! Patrick Declerck n’est pas pour vous. Si vous avez été passablement anesthésié par la « bromance » Trump-Macron et souhaitez un réveil cash, alors là Patrick Declerck est votre homme. Lire son New-York vertigo c’est comme de s’envoyer un verre de Bourbon au saut du lit. Ça vous remet les idées à leur juste (et effroyable) place. Tout le monde n’est pas preneur. Par exemple Madame Roudinesco qui a chroniqué le livre dans Le Monde et l’a totalement émasculé, frigidifié (vous me direz: normal pour une psychanalyste gardienne du temple…).
De quoi New-York vertigo est-il le nom? Comme on dit chez les intellos branchés. Sans doute la bouffée la plus jouissive et délirante de « mauvais esprit » que l’on puisse lire en ce moment dans la morne plaine du conformisme régnant. Inutile de dire que des propos significativement qualifiés de « dérapages » ne manqueront pas de choquer les coryphées de la pensée unique et les professionnels de la tolérance. Effectivement, chez Declerck ça dérape toutes les deux pages… Et l’on imagine aisément la chasse à l’homme et les appels au meurtre symbolique qui s’ensuivraient si tous les monothéistes infantiles avaient connaissance de l’étrillage en règle qui leur est ici administré. Étrillage est un euphémisme, disons raclée en bonne et due forme. Car Patrick Declerck est essentiellement, viscéralement animé par la HAINE dont il réhabilite très posément, très calmement les bienfaits, et même la salubrité:
« Ainsi – comme c’est triste! -, il est non seulement des choses, mais des hommes… Des hommes bien vivants, des vrais, en chair, en os, et tout pleins de bon gras – et ils sont fort nombreux -, qu’il est, hic et nunc, tout à fait sain et même fort utile de haïr sans retenue. Permettez-moi d’insister un instant… Je ne dis pas simplement critiquer, déplorer, ou encore, sociologiquement navré, expliquer que si tout cela est infiniment regrettable, il faut cependant com­prendre que leurs enfances et leurs mamans, etc., etc. Non! Non! Fort vulgairement, je persévère et dis bien: Haïr! Haïr!… Et gageons que, envahi par ce viril affect, la seule pression interne s’avérera, chez les uns comme chez les autres, excellente pour se purger enfin la vésicule biliaire… »
Patrick Declerck est un pessimiste, parce qu’il est un vrai romancier et pas un doreur de pilule sur papier, mais pas seulement, parce qu’il est un anthropologue et psychanalyste s’étant frotté pendant vingt ans à l’humanité souffrante la plus déshéritée et qu’il a souffert dans sa chair par la maladie la fragilité de l’humaine condition. D’où quelques convictions qui feront frémir les âmes humanitaires (je n’ai pas dit humanistes):
« La vérité est que la honte d’appartenir à cette imbécile et folle espèce humaine m’étouffe. La marée de tout ce non-sens me déborde et m’envahit.
De plus en plus fréquemment, je ne me sens plus qu’un regard distant et glacé. Je ne sais même plus pourquoi, ni pour qui, j’écris. Je consigne la trace. Cela ne sert à rien. Et d’ailleurs rien ne sert à rien. Une trace bien fugace dans cet immense univers de néant… Et puis c’est tout! »
Quand aux appartenances liées à la religion (« cette pestilence affective et mentale« ) et autres hochets identitaires que j’évoquais récemment, voici la position de Declerck:
« Les hommes, partout, se valent. C’est-à-dire que généralement ils ne valent rien… Et que l’on naisse juif religieux, musulman, catho, ou hindouiste, on arrête quand on veut. Après tout, le seul avantage de ces prisons mentales est que l’on en tient aussi la clé quelque part au fond de soi-même. Quant aux appartenances ethniques fétichisées, il n’est, au fond, pas plus de vrais Juifs ou de vrais Arabes qu’il n’existe de vrais Monégasques. La seule vérité est que nous sommes tous – tous! – les pro­duits et les descendants d’une brave petite, encore presque guenon, qui s’appelait Lucy et qui vivait il y a très, très longtemps sur une terre que nous avons finalement désignée sous le nom merveilleux d’Éthiopie. Et avec, çà et là, de très légères varia­tions dues à des petits groupes isolés ayant, au cours de l’histoire, un peu trop couché ensemble, nous sommes, en pire comme en meilleur, tous pareils. Ceci n’est en rien de l’idéologie. Ceci n’est pas un quelconque radotage d’humanisme moribond. Ceci n’est que l’exacte et incontestable réalité. »
C’est sûr ça fait pas rigoler dans le gnangnanland…
« Nous décollons enfin. Et une fois l’appareil stabilisé et le signal « Fasten your seatbelts, you crazy fools! » éteint, je… »
Je ne vous raconterai pas la suite de ce voyage à New York sur les traces du 11 septembre 2001 et des souvenirs de jeunesse passée par l’auteur à Manhattan. Cette diatribe amoureuse pour et contre les États-Unis, à la fois carnet de voyage et pamphlet hérétique qui tient la corde entre les Marx Brothers et le vitriol célinien sous l’ombre tutélaire de Nietzsche, Schopenhauer et Freud, provoquera du tapage certes, du carnage (c’est possible), mais n’est-ce pas à leur audace que l’on reconnaît les grands écrivains? Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous, disait Franz Kafka. Mission accomplie avec New-York vertigo.
Nous avons urgemment besoin d’imprécateurs* (who cross the line) du calibre de Patrick Declerck qui ne croient « qu’en Sainte-Anne, non pas la regrettée mère de Marie, non! Sainte-Anne, comme l’hôpital, évidemment… »
Merci pour le feu d’artifice des vingt dernières pages Monsieur Declerck! « I love this guy » comme dit Trump. Oh, what the hell? Fuck it all!

* Signalons que quelques scènes ou descriptions d’un humour plus noir que noir pourront glacer l’échine de quelques lecteurs/lectrices entre quelques morceaux de bravoure dont une terrifiante analyse psycho-clinique de Donald Trump.

Vous pouvez lire un extrait ici.

New York vertigo de Patrick Declerck, Phébus, 128 p., 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)

Illustrations: Photographie de Maurice Rougemont /  Éditions Phébus.

  1. pascaleBM says:

    Yes! je prends!
    (côté ‘portraits’ au sens pictural et photographique du terme, vous nous gâtez, cher Lorgnon… le Bertin et leDeclerck, c’est pas des angelots!)

  2. Serge says:

    Je tiens « Socrate dans la nuit » pour l’un de mes livres préférés. Lu, relu et annoté
    beaucoup. C’est le genre de lecture, coup de poing dans la gueule.
    Quelqu’un nous parle de la vie décevante, cruelle. De la vieillesse. C’est la première fois que je lis un écrivain qui avoue regarder des films pornos et qui recommande ses films et son actrice préférée. En l’occurence Samantha Strong (92-61-86).
    Et puis comme il a une tumeur au cerveau et qu’il anticipe une fin douloureuse, il prépare son suicide. Aucun détails ne nous est épargnés. Le fusil au Canon
    scié, la chevrotine, la technique du coup de feu dans la bouche qui est la plus sûre pour ne pas se rater.

    1. Oui, j’ai aussi beaucoup aimé « Socrate dans la nuit », livre sans concession que j’avais chroniqué l’été 2012 en concluant: « Une lecture de vacances qui n’a pas l’odeur du chichi cuit dans de l’huile réchauffée ni celle de la crème solaire… » 😉

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Patrick Corneau