La détestation de Paris est une pratique banale qui n’intéresse d’ailleurs pas seulement les provinciaux (qu’ils soient irrédentistes ou pas), les Parisiens eux-mêmes ne sont pas en reste pour cracher dans leur soupe (sauf qu’il veulent être les seuls* à le faire…).
C’est aussi une tradition littéraire. Ainsi cet extrait haut en couleurs du Désespéré de Léon Bloy, un peu délirant mais à remettre, bien évidemment, dans le contexte de l’époque soit les années 1880 où Paris était un cul-de-basse-fosse en proie à toutes les formes de prostitution. Accrochez-vous, tout le monde en prend pour son grade…

« C’était l’heure où la pire brute, assouvie de son repos, sort de ses antres et coule à pleines rues dans tout Paris. La besogneuse pécore aux millions de pieds, cou­reuse d’argent et de luxure, mugissait aux alentours, dans cet excentrique quartier. Le prolétaire souverain, à la gueule de bois, s’élançait de son chenil vers d’hypothétiques ateliers; l’employé subalterne, moins auguste, mais de gréement plus correct, filait avec exactitude sur d’imbéciles administrations; les gens d’affaires, l’âme crottée de la veille et de l’avant-veille, couraient, sans ablutions, à de nouveaux tripotages; l’armée des petites ouvrières déambulait à la conquête du monde, la tête vide, le teint chimique, l’œil poché des douteuses nuits, brimbalant avec fierté de cet arrière-train autoclave, où s’accomplissent, comme dans leur vrai cerveau, les rudimentaires opérations de leur intellect. Toute la vermine parisienne grouillait en puant et déferlait, dans la clameur horrible des bas négoces du trottoir ou de la chaussée. Qui donc se fût avisé de soupçonner là, derrière une de ces murailles de rapport dont s’éloigne en gémissant l’ange à pans coupés de l’architecture, une mystique véritable, une Thaïs repentie, une furie de miséricorde et de prière, comme il ne s’en voit plus depuis des siècles. »

* Et ceux qui le font sont ceux qui n’ont pas ouvert le supplément Sortir de Télérama…

Illustration: Édouard Cortès (1882-1969), Porte St. Denis.

  1. pascaleBM says:

    Ça c’est de la phrase! pas un seul verbe « être » sinon avec « avisé », mais le moyen de faire autrement ? du vocabulaire, noms et adjectifs ni cuits ni recuits. Du souffle! le reste est second. Je n’y vois pas vraiment d’attaques ni même détestation. Mais un immense tableau. Où les mots grouillent tout autant que les gueux.

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Patrick Corneau