Plus je lis les livres dits « pour la jeunesse » des Éditions de la Revue Conférence plus je m’interroge sur le public visé. J’ai l’impression qu’ils sont secrètement destinés à des adultes au cœur resté en enfance, à des adultes un peu rêveurs, à l’âme un tantinet fleur bleue (si, si, j’en connais). Mais je peux me tromper. Ou, peut-être pour de vieux enfants bibliophiles tendance bibliomane, potentiellement bibliolâtres, tant l’objet-livre est sophistiqué, la mise en page virtuose, l’illustration somptueuse – quel que soit le titre, tout est à lire-voir, de la première à la quatrième de couverture. Ou, qui sait? ce sont des livres pour adultes « normaux » qui auraient perdu l’esprit d’enfance. À force d’avoir lu des revues très sérieuses, ils se seraient désenfantisés en quelque sorte et Christophe Carraud, le directeur de la maison d’édition, les soignerait. Mais je peux me tromper. Ce que je sais en tous cas c’est qu’à la Revue Conférence, on se fait une haute idée de l’enfance (de la jeunesse) – et ça c’est la bonne nouvelle comme on dit à la télévision. Elle n’est pas catégorisée, pas enfermée dans une case. On lui fait confiance, on ne la toise pas. On la considère par son meilleur côté: curiosité tous azymuts, émerveillement permanent, vivacité infatigable, intelligence sensible, prescience du juste et du bien… Surtout, rien de bêtifiant, pas un soupçon de gnangnan dans l’esprit ni de nunucherie dans la forme – panade bisounours: vade retro! Et moins encore de message subliminal à vocation éducative, ou pire, à teneur moralisatrice, genre Comtesse de Ségur. Non, ici on aime bien renverser l’ordre des choses, retourner les points de vue, « ahurir » les idées toutes faites, montrer la face cachée de l’ordinaire. Et S’ÉMERVEILLER. Voyez Billy, ce chien « qui aimait les livres », alors qu’on nous a rabâché depuis Baudelaire et Colette que c’étaient les chats qui… Bon. Un chien qui parle et nous dit, avec humour et perspicacité, que les livres peuvent changer notre vie! Cachou le chat de la famille, remue une oreille… C’est que Billy, le chien des Fabre, se fait du souci pour Jules son jeune maître: il a un gros problème avec l’école. C’est plein d’embêteurs! Bref, « ça n’est pas du gâteau » nous confie le chien qui rêve d’aider Jules à l’école. Comment y être accepté, comment s’y faire reconnaître tel qu’on est, surtout quand on est un enfant « sensible et émotif »? À quelle école aller, qui nous élève au meilleur de nous-mêmes? En un mot, comment grandir?
Billy, le chien « qui aimait les livres », a sa petite idée que je ne révèlerai pas. Il faut passer par la main (et la patte!) talentueuse(s) de Bruno et Antonin Roza (respectivement père et fils, soit texte et illustrations) pour le découvrir. Disons que les auteurs ont su se glisser avec une remarquable souplesse (et pertinence) graphique et psychologique dans la tête d’un labrador très très gentil… Cette leçon délicate et légère sur l’amitié et l’attention altruiste – discrètement fondée sur l’expérience personnelle – ravira plus d’un.
Après Une reine dans un jardin, après Mademoiselle Euphorbia, Le chien qui aimait les livres est indubitablement de ces livres qui font du bien à l’âme.
Les éditions de la Revue Conférence conseillent cet album « à partir de 8 ans »: cela prouve qu’on peut être « jeune » ou « adulte » très très précocement. Et garder l’esprit d’enfance très très tardivement. Bonne nouvelle.

Le chien qui aimait les livres de Antonin & Bruno Roza, format 16,5 x 22 cm, relié, 88 pages en couleur, Éditions de la Revue Conférence, 19€. LRSP (livre reçu en service de presse)

Illustrations: photographie ©La Marne, Éditions de la Revue Conférence.

Prochain billet le 28 octobre.

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Patrick Corneau