Dans les diners en ville, il est usuel qu’après les banalités d’usage on vous pose la question décisive: « Vous avez des enfants? » Sous-entendu: êtes-vous suffisamment « normal » pour que l’on continue à vous adresser la parole… En désirer ou pas, en avoir ou pas, that is the question! Cela indique et donc présuppose que la question du « désir d’enfant » (et plus si affinité) reste une préoccupation pas seulement sociale, ni même « sociétale », mais bien civilisationnelle, voire même anthropologique. Marc Bressant a eu la bonne idée de l’explorer – passé d’énarque diplomate oblige – à travers l’espace et le temps sous forme de quatorze courtes nouvelles dont chacune s’attache à une facette de cet étrange et néanmoins vital besoin qui nous taraude depuis Adam et Ève. Sans l’accomplissement de ce désir – n’est-ce pas, nous ne serions pas là pour en deviser!
Dans les pages de Désir d’enfant et autres nouvelles (Editions de Fallois, 2016), on croise une fière lignée de mères-filles (tentation du matriarcat?), un byzantiniste qui préfère à la postérité par les livres une descendance par la chair via une accorte boulangère, un Victor Hugo toujours vert qui rit jaune au vol de sa semence par une petite anglaise délurée, deux apparatchiks d’un pays de l’est qui s’entredéchirent autour d’une paternité incertaine, etc. Autant d’approches d’une humanité bigarrée en mal d’enfant. Avec, dans ce vaste tableau, plus de géniteurs-prédateurs que de pères, plus d’amantes rouées que de mères et, finalement plus de pulsion que d’amour: « Instinct vital, avancent les bons auteurs quand ils veulent fonder le désir d’enfant, ou bien encore pulsion d’éternité, désir de normalité sociale, sans oublier l’amour, une motivation qui, après tout, en vaut d’autres. La seule certitude, c’est qu’à la faveur de la pilule et du sperme pour chacun, et de ce qui en découle, le libre-arbitre pour tous, le besoin d’engendrer est devenu une névrose qui s’est installée en maître chez les humains. » Quelqu’un dans la salle se lève et crie: « Et la tendresse bordel? » N’y aurait-il pas chez Marc Bressant derrière le masque de l’écrivain léger, un contempteur, un moraliste? Quelques cruelles vérités nous sont distillées au détour d’une phrase: l’enfant ne serait-il pas bien souvent que « compensation à la nullité d’une vie »?
Dans un style « coulant » comme on dit dans les magazines féminins, on glisse agréablement d’une nouvelle à l’autre. Marc Bressant est un conteur né, on l’imagine sans peine subjuguant un aréopage de convives. On peut regretter que son écriture se laisse parfois aller à la pente d’un style un peu oral, s’autorisant des ruptures de ton malencontreuses et le « dérapage » de jeux de mots un peu faciles, comme des clins d’œil complices envoyés vers le public. On le sent jouir de sa propre virtuosité et s’en rengorgeant. Par ailleurs, un grain d’artifice se glisse dans la construction de certaines situations, un peu forcées: c’est l’écueil des ouvrages qui se prêtent à l’illustration d’une idée ou d’un thème préétablis. Il est probable aussi qu’un lecteur n’aura pas lu le même livre qu’une lectrice, mais c’est une autre histoire. Quoiqu’il en soit et quel qu’il soit, le lecteur ne boudera pas son plaisir à lire ces pochades édifiantes sur notre condition génésique et refermera ce drôle de livre avec un sourire entendu et qui sait? sur une pensée émue: son désir d’enfant, LUI (ELLE), qu’en a t-il fait?
Illustrations: La mujer barbuda (1631) de José de Ribera / Éditions de Fallois.
Je n’aurai pas le temps de lire le livre, j’ai huit enfants à nourrir…
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Ce n’est pas nécessaire, vous avez comblé votre désir d’enfant puisque vous l’avez deux fois quadruplé… 😉