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« Radical », vous avez dit « radical »?

20090612PHOWWW00225ferli10Le mot « radicalité » est à la mode si je puis dire (même de frêles jeunes filles y seraient sensible). Employé à tort et à travers, il est souvent dévoyé, galvaudé, car brandi pour cacher, ignorer une réalité que nous peinons à comprendre ou à accepter. Pour savoir ce que le mot signifie véritablement, il suffit d’ouvrir le petit livre que François Sureau a consacré à Charles de Foucauld, aux conditions de sa mort, obscures, incertaines voici exactement un siècle (le 1er décembre 1916). Cette fin, peu compréhensible à nos yeux, à savoir une oblation totale de soi au-delà de ce que l’humain peut (se) représenter, permet à François Sureau de reconstituer une vie « radicale », ou plutôt un parcours où la radicalité d’une décision (par rapport à la famille, l’éducation, l’armée, la vocation et la pratique religieuse) en amène une autre plus grande, plus haute, plus essentielle, dans une sorte de fuite en avant dans l’extranéité à ce monde. Destinée qui, au final, équivaut à une quasi-disparition des écrans radars de nos valeurs et représentations. Évidemment, comment comprendre le mystère de cette faiblesse plus forte que toutes les autres « forces »? Comment accepter ce « grand mépris » de soi-même, cette  volonté de s’anéantir pour que quelque chose de plus grand puisse naître? Le miracle c’est que de celui qui « cherchait la dernière place en ce monde » on parle, on glose, on disserte encore un siècle plus tard…003876910

« À la question de savoir comment on peut vivre en chrétien après le Christ – comment vivre en pécheur au milieu des pécheurs dans un monde racheté et qui pourtant n’en a pas l’air -, Foucauld a apporté sa réponse: celle de l’attente et celle de l’inutilité du serviteur. Il n’en a pas donné d’autre. Ses derniers jours, tout abandonnés à une vacance incertaine dans ce fortin vide, en apportent le poignant témoignage. ‘Comme le grain de l’Évangile, je dois pourrir en terre, dans le Sahara, pour préparer les moissons futures.’ De cette épreuve il a dépassé la tristesse. ‘Vous me dites que je serai heureux, heureux du vrai bonheur, heureux au dernier jour. Que tout misérable que je sois, je suis un palmier planté au bord des eaux vives, des eaux vives de la volonté divine, de l’amour divin, de la grâce, et que je donnerai du fruit en mon temps.' »

Et François Sureau de commenter magnifiquement à la fin de son récit:
« Cet étranger sur la terre, où voulait-il aller? Cet ermite aux milliers de lettres, qui voulait-il convaincre et de quoi? Les saints s’effacent devant la main qui les façonne. Il ne reste de leur passage que des copeaux. Il n’est demandé à personne de les imiter, mais ils font entrevoir ce qui nous sépare de ce que nous sommes. Comme cette vision nous fait mal, nous la recouvrons de mots. Les hagiographes les versent à poignées comme les dénonciateurs. Je me reproche à présent d’y avoir ajouté les miens.
(…) Foucauld est l’un des nôtres mais lui, Dieu l’a conduit tout près de la paroi pour lui faire écouter la musique de l’autre monde; il lui montrait aussi qu’il n’y a pas de paroi. L’Évangile ne dit rien d’autre avec ce mystérieux Royaume qui est déjà là, au milieu de nous, et c’est ainsi que la compagnie des athées est préférable à celle de ceux qui pensent que Dieu est loin, ailleurs, quelque part, qu’il commande et qu’il juge.
(…) Dans un monde où la plupart des réussites sont marquées au front d’un signe de mort, l’échec de Foucauld – pas de conversions, pas de changements visibles autour de lui, un martyre incertain – devient un appel et un encouragement. Se comparant lui-même à une épave spirituelle, Julien Green écrit: ‘Il y a eu jadis un naufrage et des débris du beau bâtiment flottent à la surface des eaux, mais peut-être les débris sont-ils plus au goût de la Providence que le navire construit, gréé et lancé par l’orgueil.' »
François Sureau, Je ne pense plus voyager, Gallimard, 2016.

Illustrations: L’ermitage de Charles de Foucauld dans l’Assekrem, Sahara algérien – Flickr / Gallimard.

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Patrick Corneau