« France, de ton malheur tu es cause en partie,

Je t’en ai par mes vers mille fois avertie.

Tu es marâtre aux tiens, et mère aux étrangers

Qui se moquent de toi quand tu es au danger,

Car la plus grande part des étrangers obtiennent

Les biens qui à tes fils justement appartiennent.

Car il faut désormais défendre nos maisons,

Non par le fer tranchant mais par vives raisons,

Et courageusement nos ennemis abattre

Par les mêmes bastons dont ils nous veulent battre.

Ainsi que l’ennemi par livres a séduit

Le peuple dévoyé qui faussement le suit,

Il faut en disputant par livres le confondre,

Par livres l’assaillir, par livres lui répondre,

Sans montrer au besoin nos courages faillis,

Mais plus fort résister plus serons assaillis.

Si ne vois-je pourtant personne qui se pousse

Sur le haut de la brèche et l’ennemi repousse,

Qui brave nous assault, et personne ne prend

La pique, et le rempart brusquement ne défend:

Les peuples ont recours à la bonté céleste,

Et par prière à Dieu recommandent le reste,

Et sans jouer des mains demeurent ocieux*:

Cependant les mutins se font victorieux. »

[*ocieux: qui, par goût ou par habitude, ne fait rien. Synonyne de oisif.]

Pierre de Ronsard, extrait de Discours à G. des-Autels, 1563, Œuvres complètes de Ronsard, éd. La Pléiade, tome II, p.568.

Dans sa Remonstrance au peuple Françoys, de son devoir en ce temps, envers la majesté du Roy (Paris, André Wechel, 1559), Guillaume des Autels adresse un « Eloge de la paix » à Ronsard. C’est à cette éloge que le poète répond dans son Elégie sur les troubles d’Amboise, dédiée à Guillaume des Autels (Paris, Gabriel Buon, 1562), au moment du déclenchement de la première guerre civile (mars 1562 – mars 1563) entrant, à cette occasion, de plein pied dans le camp anti-protestant pour mettre en rimes le malheur de la France.
Si comparaison n’est pas raison étant entendu que les contextes sont différents, ce poème a, nonobstant, des accents étrangement prémonitoires (les Français eux-mêmes pouvant se comporter en « étrangers » dans leur propre pays)…

Illustration: Manuscrit Bibliothèque de Tours

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Patrick Corneau