L'Artdelaconversationhmorganlettrine2Vous avez passé la journée à lire dans votre chambre. Une chambre claire et accueillante. A calmer une soif de solitude que rien n’apaise. De temps en temps vous avez levé votre regard vers la fenêtre, vers le ciel où tournoient des hirondelles, où roulent de merveilleux nuages. Pressé de mettre à l’épreuve la réalité de ce bonheur très privé, vous sortez dans le monde. Vous rencontrez des gens. On vous  convie à  un repas délicieux, en famille ou « en couples », la conversation est conviviale et même enjouée. Tout se passe bien, tout se passe au mieux mais vous savez, avec l’ennui insidieux qui se passe en vous, qu’en fait « rien ne se passe ». La conversation étouffe de son « trop plein », de sa prévisible banalité: il n’est question que de « boulot », du conjoint, des enfants, de leurs notes, de leurs séjours linguistiques… La vie quotidienne, cendre et poussière. Soudain besoin de vide (encore?). D’une conversation tendue sur un vide, hésitante, cahotante. En apparence pour rien, qui se tiendrait sur le registre où l’on touche à des réalités ténues, qui se poserait sur le fond immédiat et tacite d’une parfaite entente ou d’une complicité inespérée.
Qui n’a connu ces conversations en famille ou chez des amis? On sait tout l’un de l’autre et l’on ne progresse languissamment que dans le malentendu. Au fil de répliques scandées par un « nous » claironnant, votre « je » sonne très frêle, presque insubstantiel, privé d’assises solides par rapport au bloc d’une famille ou d’un couple convaincus de leur évidence. Rien de ce courant magique qui survient à l’improviste dans le train, sur un banc ou dans un café avec des inconnus. Tout à coup, quelqu’un vous livre un presque rien qui est essentiel. On se trouve alors, à partir d’un sourire, de quelques mots, réassuré dans son être, mais surtout dans la jouissance de la vie, dans ce qu’elle a de merveilleusement injustifiable, de « sans pourquoi ».

Illustration: René Magritte, « L’art de la conversation », 1950.

Laisser un commentaire

Patrick Corneau