thehouseofbooksferli4

L’écriture c’est d’abord des rituels, des maniaqueries, monomanies – peut-être pour désensorceler, surmonter le vertige de la page blanche…

« Simenon taille cinq douzaines de crayons qu’il dispose en bouquet dans un cylindre et change de mine dès que la pointe s’émousse. La machine à écrire lui ôte l’envie de faire littéraire. Michaux utilise un broyeur pour liquider les textes qui ne l’agréent pas. Robbe-Grillet ne tape jamais à la machine et écrit à la main, sans double. Il utilise un stylo Parker à pompe, gorgée d’encre noire, qu’il trempe directement dans l’encrier quand celle-ci ne fonctionne plus. Gary a sur sa table une dizaine de stylos pleins d’encre afin de ne pas s’interrompre quand ils sont vides. Léautaud écrit au recto de feuilles de papier écolier pliées en deux et fait systématiquement un double de ses lettres. Woolf en rédige trois mille sept cents en quarante-cinq ans. Fuentes n’écrit qu’au stylo. Greene écrit cinq cents mots par jour, quoi qu’il arrive. Roth écrit debout car son esprit est ainsi « plus ouvert ». Wolfe écrit à l’encre verte. Comme Lewis Carroll à l’encre violette. Chatwin ravit à son papetier tout son stock de carnets Moleskine. Leiris a l’idée qu’en emplissant son stylo de beaucoup d’encre, il aura beaucoup d’idées et procède par fiches rangées dans des fichiers de bois. Dubillard rédige son journal agrémenté de croquis dans des registres de comptabilité, des calepins en toile de couleur, des feuilles volantes ou des enveloppes. Cendrars, privé du bras droit, signe ses lettres de la formule: ‘Avec ma main amie.’ Jarry recopie certains textes pour subsister. Pinget ne fait jamais de plan et dessine parfois les personnages qu’il a décrits. Hemingway écrit à l’aube, six cents mots, debout, les pieds nus, sur une peau de koudou. Dan Brown a un sablier sur son bureau qu’il retourne toutes les heures. Toussaint utilise une grosse Olivetti ET 121 comme Perec à partir de 1981 et des feutres Uni-ball eye, avec bille en carbure de tungstène, noirs ou bleus. Svevo tape ses textes avec la partie rouge du ruban, le noir étant réservé à son activité professionnelle. Butor utilise à ses débuts une Hermes Baby, commode et très portable. Céline ne tape pas à la machine (ça lui casse les oreilles!), mais monnaie ses originaux. Ionesco ne sait pas taper. Denis Roche tape parfois sur deux claviers en même temps. Djian écrit sur ordinateur avec la police de caractère New York et moi j’utilise le Geneva, corps quatorze, après avoir noirci au Bic des blocs Office, de 100 feuilles quadrillées. »
Patrick Roegiers, La traversée des plaisirs, Grasset, 2014.

Illustration: Cardiff & Miller, « House of books ».

Laisser un commentaire

Patrick Corneau