J’avais lu de nombreux commentaires sur la fameuse « génération ‘Y' » (Y parce qu’elle succède à la génération X? Y comme Why?), celui du psychanalyste Jacques Sédat me paraît fort pertinent (ce que ne manquera pas de confirmer tout usager du métro).
« On pourrait dire que les jeunes sont souvent dans la civilisation de ce que j’appelle « l’Y »: une oreillette dans chaque oreille, branchés à quelque chose qui n’est là que pour boucher leurs oreilles et les empêcher de parler. Et là, je vous rejoins tout à fait: cette mode peut aller jusqu’à l’effacement de la parole. Il s’agit d’une forme de régression qui rejoint celle de l’enfant qui a besoin d’être bercé par le son de la parole de la mère. Et souvent ce ne sont pas des paroles, mais des musiques, qui constituent une sorte d’auto-réassurance dans la solitude. Mais l’isolement qui caractérise chacun, dans ce monde sans parole, c’est tout à fait le contraire de ce que Freud appelait Einzermensch, « l’homme dans sa qualité unique », un homme qui a la capacité de se séparer de différents corps et de ne plus être « en indivision avec un objet extérieur », comme il l’écrit dans Malaise dans la culture.
La séparation des corps est nécessaire pour accéder à sa propre pensée et penser sa vie. S’il n’y a pas de séparation des corps, mais le rattachement à un corps social avec lequel on tente de fusionner, il ne peut plus y avoir de pensée. On assiste alors à la cessation de la pensée, ce qui renvoie à l’homme solitaire dont parle David Riesman dans son livre remarquable, la Foule solitaire. »
Jacques Sédat, « ‘Y’ ou le malaise du désir », entretien entre Jacques Sédat et Gérard Albisson, La Revue Des Deux Mondes, mai 2014.
Illustration: graphisme de Joachim Larralde.