Lu dans les Carnets (années 1930 à 1944) de Montherlant, année 1938.
« Passe ça à ton voisin, ou: Entre eux.
Stendhal, sur Chateaubriand: « Notre grand hypocrite national. »
Barbey d’Aurevilly, sur Stendhal: « Un Tartufe intellectuel. Il commença par jouer sa comédie aux autres, et devint, comme tous les Tartufes, son propre bonhomme Orgon à lui-même. »
Fontanes, sur Lamartine: « C’est un talent hypocrite, une fausse harmonie. Tout cela est calculé; il n’y a pas d’inspiration » (à Chênedollé).
Lamartine, sur Chateaubriand: « Je le voyais à la messe l’autre jour; figure de faux grand homme; un côté qui grimace. »
Chateaubriand, sur Lamartine: « Quel grand dadais! (à Mme Récamier).
Goethe, sur Hugo: « Maintenant M. Hugo écrit pour gagner de l’argent. »
Hugo, sur Gœthe: « Je ne l’ai pas lu, mais j’ai lu Schiller – C’est la même chose. »
Sieyès, sur Chateaubriand: « Je vous rends le fatras à prétentions philosophiques de M. de Chateaubriand. Quel charlatan! Est-ce que vous avez pu le lire jusqu’au bout? » (à Rœderer).
Je pourrais, s’il le fallait, donner les références de toutes ces citations.
A noter que c’est le plus souvent d’hypocrisie que s’accusent ces messieurs. Car, quand le talent est indéniable, de quoi accuser? Accuser d’insincérité, qui est jouer sur velours, puisque la sincérité ne se prouve pas.
(Et encore: « Bossuet, parlant de Fénelon devant l’abbé Ledieu, disait que c’était un talent hypocrite. » Sainte-Beuve) »
Henry de Montherlant, Carnets (années 1930 à 1944), Gallimard, 1957.
La scène littéraire de l’époque était minuscule, on était « entre soi », entre « voisins », aujourd’hui on a affaire à une masse fluctuante et incertaine d’innombrables « écrivants », indifférenciés, calibrés comme des billes pour rouler dans le gouffre de l’oubli.
Le petit milieu de l’édition, lui, n’a sans doute jamais changé. Dominique de Roux parlait de « combat de requins en piscine chauffée » et « Quant aux querelles littéraires ici et là, c’est règlement de comptes de vautours d’élevage, se jetant des cils, tantouseries, étripages de pissotières au crépuscule. » (dans Immédiatement, La table Ronde, 1995).
Illustration: photographie kenya-tanzanie.com