« C’était une femme presque incroyable. Ou plutôt: une écriture. Einstein disait qu’un jour le monde aurait peine à croire qu’un homme comme Gandhi ait jamais existé en chair et en os sur cette terre.
Clarice Lispector, on a peine, mais aussi joie, à croire qu’elle ait pu exister, tout près de nous, hier, si loin en avant de nous. Kafka aussi est irrattrapable, sauf… par elle.
Si Kafka était femme. Si Rilke était une Brésilienne juive née en Ukraine. Si Rimbaud avait été mère, s’il avait atteint la cinquantaine. Si Heidegger avait pu cesser d’être allemand, s’il avait écrit le Roman de la Terre. Pourquoi cité-je tous ces noms? Pour essayer de dessiner le parage. C’est par là que Clarice Lispector écrit. Là où respirent les œuvres les plus exigeantes, elle s’avance. Mais ensuite, là où s’essouffle le philosophe, elle continue, plus loin encore, plus loin que tout savoir. Après la compréhension, pas à pas, s’enfonçant en tremblant dans l’incompréhensible épaisseur frémissante du monde, l’oreille finissime, tendue pour recueillir jusqu’au bruit des étoiles, jusqu’au minime frôlement des atomes, jusqu’au silence entre deux battements de cœur. Veilleuse du monde. Elle ne sait rien. Elle n’a pas lu les philosophes. Et cependant on jurerait parfois les entendre murmurer dans ses forêts. Elle découvre tout. » Hélène Cixous, « A la lumière d’une pomme », L’heure de Clarice Lispector, Editions Des femmes, 1989.

Benjamin Moser, Clarice Lispector – Une biographie – Pourquoi ce monde, trad. de l’anglais par Camille Chaplain, Éditions Des femmes-Antoinette Fouque, 440 p., 25€

« La biographie de Benjamin Moser est extraordinaire. Elle nous apprend que ce n’est que dans les mauvaises biographies que les vies sont moins inté­ressantes que les œuvres. Dans les bonnes, comme l’est celle-ci, les vies sont pleines, denses, tragiques et bouleversantes; œuvres à leur tour. » Tiphaine Samoyault, La Quinzaine Littéraire, Juillet 2012.

Comme toutes les grandes œuvres, la littérature de Clarice Lispector est apprentissage, humble et incessant étonnement et du même coup leçon pour le lecteur. La lire et la relire m’a remis à l’école du monde. Elle a glissé sur mes genoux des leçons de savoir, mais de savoir-vivre, pas de  savoir-savoir. Clarice Lispector a rééduqué mon âme (non, je n’exagère pas), ses phrases pensantes m’ont montré – entre autres – que nous sommes beaucoup plus que ce que notre nom propre nous autorise et nous oblige à croire que nous sommes. Reconnaissance perpétuelle à celle qui m’a prédit à moi-même.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique

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Patrick Corneau