L

Le « ah », le « nah », le « tss »…

124837512_6eb3fc362b.1222602670.jpgDans les souvenirs* qu’il consacre à Edmond Jabès, Marcel Cohen rappelle que celui-ci n’aimait pas dire de mal des auteurs qui ne l’intéressaient pas et que, dans la discussion courante, il s’en tenait à une classification toute personnelle  – extrêmement efficace dans sa désinvolture même.

« On finissait par distinguer cinq catégories :
a) Les écrivains qui méritaient un « ah! » d’admiration sans appel. Exemples: « Ah Blanchot! Ah Leiris! Ah Bataille! Ah Jean Grenier! »
b) Ceux dont l’œuvre était jugée « très intéressante ». Proférée avec enthousiasme l’expression ne laissait aucune place au doute. Parce qu’il craignait cependant qu’elle ne parût un peu faible, il n’hésitait pas à insister: « Vraiment, très très intéressante, je vous assure! »
c) Les écrivains dont les livres lui paraissaient « intéressants », par contre, n’intéressaient pas du tout Jabès. Il suffisait de voir de quelle manière il prononçait ce mot: du bout des lèvres et avec une petite moue pincée.
d) Certains écrivains appelaient un « nah! » emphatique, mélange de « bah » et de « non », une expression dont l’usage remontait vraisemblablement aux années cairotes. Ce « nah! » était renforcé par une moue des lèvres, exactement comme on dirait: « Moi, manger une chose pareille? Jamais »
e) Une catégorie voisine suscitait un « tss! » d’agacement, agrémenté d’un petit geste de négation du menton, sans doute d’origine égyptienne lui aussi. On trouvait dans cette catégorie beaucoup d’écrivains dont la gloire lui paraissait totalement incompréhensible. »

* « Dix amamnèses » par Marcel Cohen, cahier Edmond Jabès, Revue Europe – octobre 2008.

Illustration: Edmond Jabes en 1989, photographié par Bracha L. Ettinger.

Tags

Laisser un commentaire

Patrick Corneau