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En relisant les Conférences de Borges je suis tombé sur le texte assez insolite qu’il consacre à Swedenborg lequel soutenait la théorie suivante:
« Quand un homme meurt, il ne se rend pas compte qu’il est mort, puisque tout ce qui l’entoure est resté pareil. Il est chez lui, ses amis lui rendent visite, il arpente les rues de sa ville, il ne pense pas qu’il est mort; puis il commence à remarquer quelque chose qui, au début le réjouit et, ensuite, l’inquiète, il remarque que tout, dans l’autre monde, est plus intense, qu’il y a davantage de couleurs, est plus vivant. J’ai vécu jusqu’ici dans l’ombre se dit l’homme, et maintenant je vis dans la lumière… « 

Et Borges de poursuivre :
« Swedenborg raconte l’émouvante histoire d’un homme qui durant sa vie s’est proposé de gagner son ciel; il a pour cela renoncé à toutes les jouissances des sens. Il s’est retiré au désert. Il s’y est détaché de tout. Il a prié, il a demandé le ciel. C’est-à-dire qu’il s’est peu à peu appauvri. A sa mort, que se passe-t-il? Il arrive au ciel et au ciel on ne sait que faire de lui. Il essaie de suivre les conversations des anges mais il ne les comprend pas. Il essaie d’apprendre les arts. Il essaie de tout écouter, de tout apprendre et il n’y arrive pas car il s’est appauvri. Ce n’est qu’un homme juste qui est mentalement pauvre. On lui accorde alors la grâce de pouvoir projeter l’image d’un désert. Dans ce désert, il prie sans se détacher du ciel, comme il priait sur la terre car il a compris qu’il s’est rendu indigne du ciel par sa pénitence, parce qu’il a appauvri sa vie, parce qu’il a refusé les joies et les plaisirs de la vie, ce qui n’est pas bien non plus. »

Ces conceptions aussi étranges qu’originales m’ont remis en mémoire la remarque qu’écrivait Wittgenstein dans son journal* de 1947: « La sagesse est grise. La vie au contraire, et la religion sont pleines de couleurs. »
Je me suis demandé alors si les internautes n’incarnent pas une nouvelle espèce de post-humains qui serait déjà morte et ne vivrait plus que par une simulation fantomale des impressions de la vie mais plus intense, avec davantage de couleurs et dont le Credo serait : J’ai vécu jusqu’ici dans l’ombre, et maintenant je vis dans la lumière

* Remarques mêlées , Ed. TER, 1984, p. 81.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique

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Patrick Corneau