Einstein n’a plus besoin de publicité depuis qu’il a tiré la langue. Ernst Mach, si. Il était bien plus qu’un physicien connu par la mesure de la vitesse des avions supersoniques (mach 2, mach 3). Il est de l’époque où les « savants » n’étaient pas spécialisés. La lecture de L’Analyse des sensations, le rapport du physique au psychique (Éditions Jacqueline Chambon, 1996) est un choc psychologique (pardon pour la redondance). Ce texte peut être placé sur le même plan que l’Ethique de Spinoza. Bien sûr, c’est d’un abord plus difficile que la TV en prime time (amateurs de teaser* s’abstenir…). L’ontologie machienne se présente comme une forme d’idéalisme qui le conduit à une réévaluation de l’unité du sujet impliquant une réfutation de la notion d’identité personnelle. Selon Mach, la conscience fait l’objet de constantes interruptions (sommeil, amnésie…), de divisions (rêves, dédoublements de personnalité…), etc., le prétendu « Moi » est donc soumis à un perpétuel changement sans qu’il y ait un quelconque substrat qui compense ce changement par sa stabilité: le Moi n’est jamais identique à lui-même. C’est pourquoi Mach fait sien ce célèbre aphorisme de Lichtenberg dirigé contre le cogito cartésien: « On devrait dire: ‘ça pense’, comme on dit, à propos de l’éclair: ‘ça luit' ». Cette idée sera transposée par le physicien dans une formulation qui deviendra presque un slogan, une devise emblématique de la modernité viennoise: « Le Moi ne peut être sauvé » (Das Ich ist unrettbar).
Les conséquences sceptiques de la dissolution du sujet seront tirées quelques années plus tard par d’autres auteurs viennois, par Wittgenstein et surtout Robert Musil (dont la thèse de doctorat portait précisément sur Mach) avec l’idée d’un Homme sans qualités dans laquelle on peut lire l’expression la plus haute du malaise moderne.
Ceci implique, aurait sans doute suggéré Jorge Luis Borges, que le moi de celui qui écrit n’existe pas et que ce billet ne serait qu’une hallucination dirigée…
*Comment dit-on en français ?
Ilustrations: photoportrait (anonyme) et dessin d’Ernst Mach.
IMPROUVABLE
Le monde observé à l’endroit
Confirme les intuitions du revers
Et tombent les oiseaux
Des hallucinations délétères
Sur le pavage des artères
Les pendus n’ont qu’un seul regard
La même lueur dans les yeux
Au confluent des sérénités
Là où le temps s’immole
Dans un éclat de rire
C’est donc que le moi est partout, et d’après JL Borges c’est un » aleph ».
Si l’idée de la non réalité du moi est source de tant de malaise, n’est-ce pas tout simplement par peur qu’elle ne soit vraie ?
Nous sommes si convaincus de notre réalité qu’il nous faut des évidences . Or rien n’est moins évident que la « nécessité » d’un moi pour exister. L’existence se fait en dehors de nous, et nos désirs, nous pulsions, nos rejets nous relient mieux à l’existence que tous les « moi » imaginables.
Nous sommes à chaque instant le point de rencontre de nouvelles circonstances et nous confondons trop l’être et le fil conducteur qui y mène : la part ontologique des circonstances.
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