melancoliestefandelay.1193831389.jpgDans l’excellent Traité de savoir survivre par Temps Obscurs (Grasset, 2007) du médiatique et contesté Philippe Val, je trouve au chapitre 22 (« La mélancolie ») ce singulier hommage rendu à l’humeur qui inspire et parfois plane sur ce blog (extraits):
« Au cours d’un entretien avec Paul Léautaud, Robert Mallet laisse tomber: ‘Au fond, vous êtes un mélancolique…’ A quoi Léautaud répond, du haut de ses quatre-vingts ans: ‘Evidemment! Un homme ou une femme qui vieillit seul dans un troisième étage, ça a tout de même plus d’al­lure qu’un vieillard entouré de ses petits-enfants! La mélancolie est une chose admirable!’
La mélancolie est un sentiment composite, que seule la civilisation connaît. La mélancolie est étrangère à la vie instinctive. L’individu de la horde n’est pas mélancolique. Il peut être triste, connaître et ressentir avec émotion une situation tragique, connaître la joie, le dépit, la douleur morale, la colère. Mais il ignore la mélancolie. Elle est le privilège du civilisé. (…) La mélancolie est une composante indispen­sable de la civilisation. Elle témoigne que notre moteur archaïque travaille toujours en nous, même si nous l’utilisons à des fins différentes de celles que la nature – et les religions qui en sont le porte voix – lui assigne.
La mélancolie travaille l’homme moderne qui se réjouit de la libération des femmes et de la banalisation de l’homosexualité, de cette égalité toute neuve qui s’instaure, qui en accepte l’aven­ture avec enthousiasme mais qui ne peut en aucun cas oublier le temps où sa domination, qui simplifiait le monde, n’était pas discutée.
La mélancolie travaille aussi la femme moderne qui jouit pleinement de tous ses droits et qui s’enthousiasme, elle aussi, de l’aventure humaine inédite qu’implique cette liberté. Mais elle ne peut non plus oublier le temps de la soumission brutale au désir masculin et de la prise en charge de sa vie par un ordre qui la dépassait. Le refus de certaines femmes d’accepter l’anesthésie péridurale pour accoucher témoigne de cette nostalgie des lois archaïques.
Nier cela serait dénier qu’il y a toujours des réactions aux libérations.
La mélancolie est un moindre mal. Elle conclut toujours au bénéfice de la civilisation. Elle est une douleur théâtrale. Elle est une représentation de la tristesse réactionnaire. Celui qui a la chance de ne jamais être mélancolique a également la mal­chance d’être un abruti. »

Illustration: photographie de Stefan de Lay.

  1. motpassant says:

    Votre article me touche particulièrement, la mélancolie peut-être aussi un enfermement, un faux refuge dans lequel se terre celui qui en est atteint.
    Mais en même temps comme vous le dîtes  » celui qui a la chance de ne jamais être mélancolique a également la malchance d’être un abruti « . Aussi, j’assume ma mélancolie, quitte à être victime d’une vision réduite du monde dans lequel je vis.

    Je partage votre sentiment. Et en partie seulement ce qui est dans le billet, qui, je le rappelle, est une citation. 😉

  2. gmc says:

    KHÔL NOIR

    L’abruti non mélancolique
    Essaime en souriant
    Pleurant de rire
    Devant les lieux communs

    Mendiant sans fief
    Il rit des civilisés
    Qui croient en des mots ternes
    Dénués de substance

    Monogame au harem conséquent
    Il sait ce que pèse
    Le mirage du mot libération
    Chez les servomoteurs

    Ecce homo
    Sexuel ou pas
    Loin des considérations animales
    Flotte l’ombre de sa joie

    L’abruti non mélancolique
    N’a pas la chance
    D’échapper au sort qui l’oblige
    Au sourire permanent

  3. Oui, je me suis demandé un moment si le paragraphe qui suivait la citation en bleu était la suite ou provenait de votre clavier (à cause d’un problème de guillemets).

    Sans doute est-ce parce que l’on pourrait croire que c’est vous qui l’avez écrit ?

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Patrick Corneau