luxembourgnawal2006.1196614982.jpgIl serait nécessaire de comprendre un jour, et probablement ce jour est-il proche, ce qui manque avant tout à nos grandes villes: des lieux de silence, spacieux et forts étendus, destinés à la méditation, pourvus de hautes et de longues galeries pour les intempéries ou le trop ardent soleil, où ne pénètre nulle rumeur de voitures ni de crieurs, et où une bienséance plus subtile interdirait même au prêtre l’oraison à voix haute: des édifices et des jardins qui dans leur ensemble exprimeraient la sublimité de la réflexion et de la vie à l’écart! […] Notre désir serait de nous voir nous-mêmes traduits dans la pierre et dans la plante, de nous promener au-dedans de nous-mêmes, lorsque nous irions de-ci de-là dans ces galeries et dans ces jardins. Nietzsche, Le Gai Savoir, § 280 (« Architecture des contemplatifs »), trad. Pierre Klossowski.

Une visite au Jardin du Luxembourg montre combien notre époque est loin par l’esprit de cette citation de Nietzsche.
Un jour de 1997 on a décidé de mettre des photos sur les grilles extérieures du Jardin du Luxembourg, des photos plutôt belles et spectaculaires qui attirent le regard. Cela a plu tellement que les grilles ont été annexées et sont devenues le lieu d’une exposition permanente. Les grilles ne séparent plus le jardin de la ville et le jardin n’est plus ce qu’on doit contempler: on s’agglutine autour de son enceinte pour regarder des photos. Cette captation du regard par l’image au détriment de l’apparence et du donné est symptomatique d’une mutation du regard qui fait terriblement peur. L’image triomphe et cela nous rappelle les regardeurs de paysages qui « regardent » en vertu de l’appareil photo et de ce que ces paysages deviendront à la suite d’une reproduction mécanique.
Un lieu existe, il s’appelle le Luxembourg, il est beau, exerce une attraction qui est de l’ordre du désir et l’on est en train de le transformer, de le boucher, de le rendre invisible car il ne correspond plus à l’urgence du temps. A cette guerre mystérieuse contre le réel, contre tout ce qui a l’épaisseur du phénomène en faveur de tout ce qui est représentation plutôt que présence. Après la déconstruction et son déni du référent dans le « tout est langage », un ultime avatar de l’esprit de négativité avec le « tout est image »?

Illustration: photographie de Nawal

  1. oceania says:

    Bonjour Lorgnon mélancolique,

    Simplement vous dire ce matin, que j’ai ouvert un dossier nommé « Lorgnon mélancolique »dans mes documents.
    Je copie/colle les articles auxquels j’ai envie de répondre, qui me donnent à penser, à réfléchir. Qui me font sourire ou dans lesquels je me reconnais même s’il y a grincement de dents.
    Ceux qui écartent les oeillères,
    ceux qui me mettent davantage au monde.
    Ceux qui m’émeuvent, ceux qui m’instruisent
    Ceux qui me confirment l’existence de l’Homme.
    Ceux qui m’attristent par leur évidence,
    qui me séduisent par leur pertinence.

    Ainsi, au fur à mesure ou démesure, je composerai un recueil ciblé par ma sensibilité, par l’attrait des couleurs avec lesquelles vous donnez vie à mes territoires blancs, les inexplorés, les jachères, les « jugulés »

    Il est très, très agréable pour la soif d’être désaltérée par de l’eau fraîche.
    Y compris la buée sur la paroi du verre.
    Et même le bloc de glace qui fait ding ding.

    A bientôt Lorgnon mélancolique, au cours des commentaires.
    Merci à vous.

    PS : Comme vous le constatez, je vous réponds désormais sous le pseudo d’Océania.

    Le lorgnon m’en tombe… de surprise et de gratitude. Est-ce que je mérite tout cela? Vous allez finir par me rendre MOINS mélancolique… 😉

  2. en flânant says:

    Ce que je viens de lire, je l’ai entendu, il y a peu
    où, quand, par qui offert, je ne sais plus…
    je voulais le réentendre , tellement d’accord avec, et, quelle surprise: je le lis!
    j’aime bien ce lorgnon mélancolique
    je lui envoie ce brillant croissant de lune dans le ciel noir de ma lucarne

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Patrick Corneau