Pourquoi les paysages tuent. Il n’y a pas de relation au monde qui soit « naturelle » – n’en déplaise aux écologistes. Notre relation au monde est construite selon des schèmes culturels comme l’ont montré Bakhtine, Whorf et d’autres. Je ne connais du réel que ce que mes moyens d’expression m’autorisent à percevoir (« la réalité n’est que l’ombre de la grammaire », disait Wittgenstein). Ainsi en est-il du paysage qui est une construction culturelle: si je n’ai pas les mots pour le décrire, je ne le vois pas… Ainsi le tsunami du 26 décembre 2004 n’aurait-il pas fait tant de victimes s’il n’y avait pas eu la conjugaison de l’attirance culturellement déterminée d’une population d’occidentaux pour les paysages marins d’une part et des plages « idylliques » situées sous certaines latitudes propres à exciter les fantasmes des premiers d’autre part… L’hécatombe parmi ces occidentaux est proportionnelle au niveau de vie et au moindre ensoleillement de leur pays d’origine (Danemark, Suède, Norvège). Une manière de donner raison au président Lula qui déclarait qu’une catastrophe naturelle n’est jamais vraiment… naturelle (sic). La zone de violence maximale du tsunami est précisément située sur le littoral: c’est sur cette frontière, cette limite où se tend l’antagonisme entre la Mer et la Terre (la nature cyclique et la culture historique) que gît l’irréparable, le terrible mais aussi le sublime des paysages. Charmes terrifiants de l’ambivalence!

Ce terrible évènement problématise tout le progrès humain. Conquérir la nature n’est pas changer sa structure mais son « atmosphère », c’est-à-dire faire en sorte qu’elle procure une sensation de protection. Avons-nous conquis la nature au cours des derniers 200 ans? Dans le sens où l’on aurait amplifié la sensation d' »être abrité »? L’homme du XXIe siècle se sent-il plus abrité que celui du XVIIIe? Est-il plus cultivé dans ce sens? Sans doute le tsunami est-il un formidable rappel au principe de réalité: il exige que nous redéfinissions notre engagement dans la culture et le regard que celle-ci (la science et la technocratie) pose sur la nature.

Dire que la nature « s’est vengée » de la massification du mythe de l’Eden ce serait anthropologiser. Pourtant comme l’a admirablement montré Terence Malick dans The Thin Red Line, l’homme s’était d’abord vengé du mythe en faisant du Pacifique entre 1937-1945 l’Enfer sur la Terre. Alors… juste retour des choses?

Photographie: Amateur Asian Tsunami Video Footage

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Patrick Corneau