Patrick Corneau

« L’art de ne pas lire est très important. Il consiste à ne pas s’intéresser à tout ce qui attire l’attention du grand public à un moment donné. Quand tout le monde parle d’un certain ouvrage, rappelez-vous que quiconque écrit pour les imbéciles ne manquera jamais de lecteurs. Pour lire de bons livres, la condition préalable est de ne pas perdre son temps à en lire de mauvais, car la vie est courte. » Schopenhauer

En août 2008, j’avais écrit deux ou trois réflexions concernant la soit disant « rentrée littéraire », m’inspirant de la recette du « succès » que Pierre Assouline avait développée dans un des éditoriaux de La république des livres. 

Comme rien ne  ressemble plus à une rentrée qu’une autre rentrée (surtout littéraire), je me permets de republier ce billet – que les lecteurs me pardonnent d’enfoncer à nouveau le clou dans ce pauvre marronnier

D’abord chauffer le public avec un bon marketing maison. A savoir, être « annoncé comme ‘événement’ étant entendu que l’éditeur fait ce qu’il faut pour que le public s’en aperçoive. »
Soigner la présentation du produit : « Pour faciliter le travail du lecteur, faire apparaître sur la quatrième de couverture, une ‘scène emblématique’ afin qu’on ne perde pas son temps à la chercher. »
Bien évidemment choisir pour sujet une histoire d’amour. Si possible borderline c’est-à-dire aux frontières des tabous, des préjugés ambiants (une « liaison socialement interdite »). 
Relever la sauce avec quelques scènes de « baise » dont la teneur érotique tiendrait dans une phrase (encore) emblématique comme : « D’accord mais attention, te trompe pas de trou ».
Mettre tout son talent pour que « l’écriture soit juste médiocre et le propos sans intérêt. Sans saveur, sans odeur. Même pas musical (…) » que « les dialogues relèvent du grand art de la platitude ; que les ‘oui’ et les ‘non’ y tiennent leur rang en solitaire, désespérément. »
S’assurer qu’« aussitôt la lecture achevée, on ne se souvienne même plus de quoi ça parlait. De rien peut-être. »
Premier tirage à 100 000 exemplaires, succès garanti (la FNAC, Amazon sont en ruptures de stock au bout d’une semaine). Deuxième tirage à 300 000 exemplaires, les ventes repartent (remontée spectaculaire dans le box office des meilleurs ventes de l’Express, Lire, Livre-Hebdo, etc.). Des rumeurs de prix littéraire commencent à circuler…

Quatorze années plus tard, rien à changer, sinon peut-être un cran supplémentaire dans la crapulerie commerciale, dans la veulerie du consensus médiatique et, surtout, la vulgarité* du « produit éditorial » présenté comme la « tête d’affiche incontestée de l’automne » (Télérama)…
* J’entends par là ce tout qui est l’antithèse de la sprezzatura, cette qualité mystérieuse et légère qui, indissolublement morale et esthétique, n’est pas séparable d’un style fait d’élégance et de distinction dont l’esprit est contenu dans ces deux vers : « D’un cœur léger, avec des mains légères / prendre la vie, laisser la vie… ».

Illustrations : (dans le médaillon) ©️Télérama – (le corps du billet) ©️OLJ-AFP.

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

  1. serge says:

    Il est intéressant de constater que l’admiration proclamée de Mme Despentes pour les frères Kouachi après leurs assassinats n’a en rien altéré ses soutiens dans la presse qui pense bien. Il en sera de même je présume pour Mme Aram, journaliste « humoriste?! » à France Inter qui se réjouit de la mort de Daria Douguine à Moscou.
    Richard Millet n’y comprend plus rien lui qui s’était retrouvé avec une meute haineuse aux fesses animée par Annie Ernaux et son licenciement de Gallimard en raison de son éloge littéraire du meurtrier norvégien.

  2. Patrick Corneau says:

    Oui, les médias ont la mémoire courte et même pas de mémoire du tout, ce qui est plus arrangeant, l’essentiel étant que le troupeau continue à brouter, car il faut faire son beurre et le vendre… ?‍?

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