Patrick Corneau

L’événement de ce début mars est, bien évidemment, la parution de l’inespéré numéro 6 (février 2021) de DERNI∃R CARRÉbulletin de la société des amis de la fin du monde rédigé par Marlène Soreda & Baudouin de Bodinat dont j’ai déjà parlé et que j’aime outrageusement. Inespéré car toute livraison de DERNI∃R CARRÉ porte l’incertitude de sa suite puisque la ligne éditoriale affichée est : « parution irrégulière jusqu’à échéance ». Ce qui veut dire que cet objet éditorial non identifiable est toujours en sursis, là et pas là, un peu comme le chat de Schrödinger et que son surgissement est une surprise et une joie.
Je ne dévoilerai rien (ou presque) de ce numéro de printemps « arraché à la mélancolie du temps » comme me le confie Marlène Soreda, j’en livrerai simplement les bornes c’est-à-dire la première phrase (page 1) :
« L’avarie colmatée, la civilisation titanique remit le cap vers sa destination finale. »
et la dernière phrase de la page 32 (dernière page du bulletin) :
« Le 2 décembre 2020, ’De jolies températures printanières’, se réjouissait pour le lendemain une présentatrice de journal radiodiffusé. »

Ce qu’il y a entre les deux n’est heureusement pas imaginable, ni communicable ; le sous-titre du présent numéro « pour finir, la terreur le cerne comme un élément » est néanmoins indicatif. Je retrouve cette même térébrante et très secourable lucidité de nature apocalyptique (très inhabituelle en ces temps d’hypnose covidique), tempérée par une forme d’humour désespéré que l’on pourrait qualifier de transcendantal
Dans le long texte introductif de B. de B., j’ai rarement lu (entre autres !) analyse plus fine sur les mécanismes qui installent notre incapacité (malgré nos dénégations, vœux pieux, etc.) à empêcher la catastrophe de la civilisation titanique : l’individu s’exclut du désastre auquel il contribue en se recroquevillant dans l’illusion de l’inaltérabilité de son quotidien ; il se sentira toujours davantage concerné par le rythme infernal que la « termitière numérique » lui impose avec toutes ses délétères séductions (dont les « hypnagogies* devant les écrans ») que par le feu qui l’entoure. Illusion entretenue par la rassurante attitude des autres dans le grand jeu du mimétisme social. C’est imparable. Arrêtons-nous là – j’invite mes lecteurs à se reporter à ces impeccables éclairages de visu et in situ en commandant rapido-presto ce numéro (5€) aux éditions La Charrette orchestrale.

* Lu dans Détails II : suite et fin de Marcel Cohen : « Dans certaines villes chinoises, les municipalités installent sur les trottoirs des couloirs à l’usage des seuls internautes, comme il en existe pour les cyclistes. Les utilisateurs de téléphone sont donc à peine conscients de ce qui se passe autour d’eux. Ils marchent dans le même sens, sans avoir à lever les yeux puisqu’ils ne risquent plus d’être heurtés par les passants venant en sens inverse : il y a des couloirs montants et des couloirs descendants. »

DERNI∃R CARRÉ N°6, éditions La Charrette orchestrale. LRSP (livre reçu en service de presse).

Illustrations : Au pire on meurt « Pense-bête » n°6 ©Éditions La Charrette orchestrale.

Prochain billet le 11 mars.

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Patrick Corneau