Patrick Corneau

Dans un billet récent je pastichais un célèbre incipit. Quelques-uns, il est vrai, se sont inscrits dans nos mémoires (« Longtemps, je me suis couché de bonne heure »*). Il y a quelque temps, j’ai eu le plaisir de chroniquer l’intéressant ouvrage de Laurent Nunez L’énigme des premières phrases qui décortique avec talent et sagacité ce que l’on peut deviner d’une œuvre, et de son auteur, dans « sa » première phrase.
Mais sait-on que le dernier mot d’une œuvre n’est pas moins intéressant ?
J’eus dans un lointain passé la manie de collectionner les derniers mots (pas toujours remarquables) de gens dits remarquables avant le grand saut.
Peut-être devrais-je me tourner maintenant vers les excipits, les sorties de textes, la fameuse final touch ? Ainsi, en furetant dans ma bibliothèque, ai-je trouvé les dernières lignes d’un ouvrage de Jean Vilar, De la tradition théâtrale, datant de 1953, dans une vieille édition Gallimard, « Les essais » (sans doute achetée pendant mes études de lettres…) qui célèbrent justement « le dernier mot ».
Les voici :

« Le dernier mot est le bon.

Le dernier mot de Phèdre est : pureté.
Le dernier mot de Chimène est : paternel.
Le dernier mot d’Auguste est : oublier.
Le dernier mot d’Hamlet-le-Bavard est : silence.
Le dernier mot du Prince de Hombourg est : Brandebourg, ou, si l’on veut bien, patrie.
Le dernier mot d’Harpagon est : cassette.
Le dernier mot de Macbeth est : enough!
Le dernier mot d’Œdipe-Roi est : arracher.
Le dernier mot de Prométhée est : j’endure.
Le dernier mot d’Œdipe à Colonne est : heureux à jamais.
Et les derniers mots de Roméo sont : Thus with a kiss I die.

*

Le poète a toujours le dernier mot. »

Admirons le clin d’œil de ce bel envoi.
De la page, puis de la scène, passons à l’écran.
Il m’a toujours semblé qu’au cinéma la sortie d’un film était beaucoup plus difficile à maîtriser que de faire son deuil du texte qu’on vient d’écrire (ou de lire). Rares sont les fins réussies dans le septième art et le ratage y est beaucoup plus fréquent et préjudiciable qu’en littérature en raison du resserrement temporel et de l’impact émotionnel de l’image et du son. L’impressionnante Palme d’or à Cannes Parasite aurait pu être un chef-d’œuvre si la fin, grand-guignolesque, n’avait pas complètement échappé des mains du réalisateur Bong Joon-ho et gâché « rétrospectivement » le sublime qui précède. Car l’impression laissée par ce qu’on quitte (derniers mots, images, regards) reste et qualifie la séquence entière – c’est un poncif que les communicants connaissent parfaitement (la gaffe de Hollande qui tourne les talons devant le dernier hôte de l’Elysée sans le raccompagner est devenue tristement célèbre).

Peut-être (retour à la littérature) serait-il profitable aux gens de cinéma de lire Esquisse d’une psychologie du cinéma, la brève étude qu’André Malraux publia en 1939 et qui s’ouvre sur un incipit on ne peut plus malrucien : « Si Giotto, et même Clouet, avaient voyagé en Asie, la peinture leur y eût semblé quasi familière« . Vous riez ? Non, parce que c’est du pur Malraux. Et, la lecture presque achevée de cette petite dizaines de pages, on passe une dernière fois à la ligne et l’on tombe sur cet excipit extraordinaire : « Par ailleurs, le cinéma est une industrie. » Point final ! Circulez, plus rien à voir…

Qu’il s’agisse d’une nouvelle, d’un roman, ou encore d’un essai, voire de la chronique d’un blog (!), on voit bien que l’enjeu de la prise de congé est décisif – je n’ose, crainte et tremblement, prononcer le mot de « chute » de peur de tomber moi-même, de me ramasser et que vous, lecteurs, ne tourniez les talons en haussant les épaules…
* Cette première phrase de la Recherche, d’une rare platitude, a suscité, à elle seule, des tonnes d’exégèse.

Illustration : même les fées du logis ont leur dernier mot…

Prochain billet selon l’humeur ? avant la rentrée de septembre

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Patrick Corneau