On célèbre avec le Salon de l’agriculture le « petit paysan » présenté comme « responsable », attaché à la protection et valorisation de sa terre et de ses bêtes, désireux de « réenchanter » le métier. Très bien. Mais l’arbre du rural pittoresque ne cache-t-il pas tout l’effrayant de la forêt industrio-agro-alimentaire?
Quelques chiffres qui donnent le tournis: aujourd’hui sont produites 68 millions de tonnes de bœuf par an (environ 300 millions d’animaux consommés annuellement, ce qui représente deux tonnes de viande bovine produites à la seconde), 110 millions de tonnes de porc (800 millions d’animaux par an, 3,5 tonnes à la seconde), 115 millions de tonnes de poulet (86 milliards d’animaux par an, 3,5 tonnes par seconde), ce chiffre étant amené à augmenter de 24 % d’ici 2025. L’image que nous avons devant les yeux est folle: c’est celle d’une humanité qui engouffre 300 millions de tonnes de viande par an; c’est la réalité d’une consommation qui double tous les vingt ans, c’est-à-dire à chaque génération d’êtres humains.
« Imminence », la vache égérie du salon de l’agriculture (photo) a toutes les caractéristiques physiques pour représenter la Bleue du Nord, elle est sans aucun doute une parfaite ambassadrice de sa race. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a fait l’objet d’ »améliorations » dans les instituts de recherche avec la race Bleue belge. Cette dernière est porteuse du gène « double muscle » qui la surcharge de muscles hypertrophiés entraînant une variété de problèmes de santé comme une langue trop grosse, des problèmes respiratoires et cardiaques, des troubles de la croissance osseuse et cartilagineuse. Le pouvoir démiurgique des biotechnologies est sans retenue: il faut remplir les rayons des supermarchés de millions de tonnes de steaks prêts à l’emploi. Pauvres bêtes, riches consommateurs…
L’impact de cette folle spirale sur notre environnement est aujourd’hui chiffré. On sait que la production d’un kilogramme de viande bovine coûte 15 000 litres d’eau à la planète, et dégage environ 20 kilogrammes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, c’est-à-dire autant de gaz à effet de serre qu’un trajet de 300 kilomètres en voiture. Et pourtant nos besoins alimentaires sont, du moins dans la majorité des pays du globe, satisfaits. Nous sommes en surproduction et en surconsommation, et, logiquement, en surpoids… Le problème est que notre cerveau est configuré pour en demander toujours plus, même quand ses besoins sont satisfaits.
Comment se fait-il que paralysés dans l’injonction du « toujours plus » et ayant conscience de cette folie, nous ne parvenons pas à réagir ni à agir? Comment en 100 000 ans sommes-nous passés du « chasseur-cueilleur » toujours affamé au « consommateur-pollueur » jamais rassasié (et surtout avide d’être un peu plus rassasié que son voisin)? Brûlantes questions (contradictions et incohérences) qui sont débattues dans le livre de Sébastien Bohler Le bug humain (Robert Laffont) dont je parlerai prochainement.
Illustration: Photographie de Guillaume Le Du.
Prochain billet le 11 mars après une petite pause.