On regrette qu’il n’y ait (jusqu’à présent) aucune figure intellectuelle majeure*, aucun écrivain de renom à être descendu dans l’arène publique pour dénoncer l’ignominie morale et la bassesse d’esprit du discours populiste de Madame Le Pen. Comme si l’ahurissement, et même la sidération qui s’est emparée des partis de droite et de gauche à l’issue du premier tour avait contaminé le camp intellectuel. Comme si la frénésie démagogique, les outrances haineuses et le brouillard verbal du FN était désormais endossés, banalisés avec pour corollaire le constat impuissant d’une totale et fatale incommunicabilité avec ses partisans.
Par ailleurs et plus grave: alors que les institutions juives, protestantes et musulmanes ont invité à faire barrage à Marine Le Pen, l’Église catholique à travers la Conférence des évêques « n’appelle pas à voter pour l’un ou l’autre candidat » mais « souhaite donner à chacun des éléments pour son discernement propre ». Ceci est dangereux et en même temps choquant. Avant le deuxième tour, on attendait de l’Église une parole claire, responsable et courageuse contre le risque frontiste héritier d’une tradition totalitaire et, rappelons-le, antichrétienne.
Il y a bien une fracture irréparable (?) entre deux France: celle dont le niveau d’éducation lui permet un regard critique vis à vis des discours politiques, une capacité de discernement, la construction raisonnée d’une conviction, et puis une autre France, peu ou mal éduquée (ce dont on ne peut l’accabler) ne comprenant pas le vocabulaire des élites (médiatiques et/ou politiques), ignorante ou oublieuse de l’histoire de la France, dont la conscience politique est dans un état de somnambulisme total, et qui, désemparée et en colère d’avoir été oubliée, erre émotionnellement d’un slogan populiste à un autre comme une bille dans un billard électrique. Voilà le résultat de trente ans de « ping-pong » entre les appareils des partis de droite et de gauche, jeu mortel de l' »entre soi » qui a creusé ce gouffre entre le haut et le bas de la société.
Après dimanche prochain, il faudra bien recoller ces deux France, pas tellement l’horizontale (la distinction droite/gauche a perdu de sa pertinence) mais surtout la verticale plus sévèrement touchée, plus profondément meurtrie. On devine bien quel est le candidat en capacité réelle pour cette difficile refondation.

           Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité.
                                                                                   Victor Hugo

*Sur une radio, Michel Serres s’est contenté de raconter comment les grecs votaient… Les ralliements explicites récents (2 mai) au barrage du FN appartiennent exclusivement au monde du spectacle et du football. [Rectificatif: Michel Houellebecq a donné ses impressions sur la campagne présidentielle sur France 2 le 4 mai à sa manière…]

Illustration: origine inconnue.

  1. serge says:

    N’avez-vous pas observé comme moi, l’exécration générale pour Madame Le Pen?
    Avoir contre soi la presque totalité des médias, des partis, des syndicats, des artistes, des instances religieuses, du Medef,des grands patrons, d’Obama etc… il faut le faire!

    Aujourd’hui nous avons Macron, le candidat que le petit milieu libéral/médiatique/financier a voulu placer depuis le début en organisant et en instrumentant tout le processus (primaires coupe-gorge, cabale contre Fillion mais pas les autres, un deuxième tour avec une candidate qui ne pourra pas gagner).
    Je trouve que c’est une mauvaise nouvelle.

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Patrick Corneau