Il y a des livres rares imprimés à des milliers d’exemplaires voire des millions comme Le Petit Prince de Saint-Exupéry – rares car ils n’ont pas d’équivalents: ils s’adressent, ils parlent au cœur et à l’intelligence du plus grand nombre. Ce qu’ils disent, et c’est une gageure – est compréhensible de 7 à 77 ans. Mademoiselle Euphorbia est de cette espèce, c’est dire combien ce livre traduit de l’italien est unique, à plus d’un titre comme on va le voir. Pour replacer les choses à leur origine, rappelons que l’auteur, Luigi Ballerini, est psychanalyste et écrivain, auteur de nombreux ouvrages, notamment pour la jeunesse. Christophe Carraud qui dirige la revue Conférence et la maison d’édition du même nom est tombé sous le charme de ce texte (vendu à plus de 18 000 exemplaires) qui a obtenu en 2014 le prestigieux prix Andersen récompensant en Italie le meilleur livre pour enfants. Christophe Carraud a racheté les droits de l’ouvrage, l’a traduit avec élégance et nous l’offre dans une version française superbement illustrée de dessins inédits d’Antonin Rosa mis en valeur par une mise en page très soignée et d’une rare originalité. Ce joli volume relié avec une couverture semi-rigide constitue une exceptionnelle réussite graphique et littéraire où images et mots se valorisent dans un dialogue harmonieux et fécond. Revenons sur le livre lui-même, un beau conte entre réalité, crédulité, magie et humanisme.
Une pâtisserie fait des émules dans une rue déserte, perdue d’une petite ville. La pâtissière, Euphorbia, aussi atypique que son prénom, fabrique des gâteaux très spéciaux: ils sont faits sur mesure, à la demande des clients, confectionnés par rapport à leur humeur et surtout à leurs souhaits ou désirs les plus vifs. Et ça marche! Deux enfants deviennent rapidement ses apprentis. Deux enfants que tout oppose: Marthe, une jeune fille polie, studieuse et Matthieu, un petit garnement, trop fier pour avouer certains de ses défauts. Grâce à Euphorbia qui se révèle être plus qu’une simple pâtissière, mais un guide, une conseillère, une éducatrice, ils vont mûrir, apprendre goûts et saveurs, être heureux, tout en conservant leur esprit enfantin. Quand ils vont devoir affronter la dure réalité du système économique et être impuissant face à la destruction de la petite pâtisserie au profit d’un immense centre commercial, ils sauront réagir, rebondir et garder l’espoir en un futur viable et lumineux. Ce livre ne montre pas une vision toute rose de la vie mais le dénouement et le chemin qui y mène délivrent une leçon de vie et d’optimisme qui ravira le lecteur quel que soit son âge.
Si de prime abord, Mademoiselle Euphorbia se présente comme un livre pour enfants, une lecture attentive délivre quelques aperçus sur un certain idéal d’éducation, d’élévation dans la vie qui suscitent l’admiration. Sans forcer le sens, on peut dire que notre pâtissière Euphorbia est l’anti-modèle de l’éducateur tel que l’idéologie progressiste le promeut: elle est exigeante, demande non pas beaucoup à ses élèves mais ce dont elle les juge capable (ni trop, ni trop peu) pour pouvoir apprendre et progresser. Elle fait preuve d’autorité au sens de l’auctoritas, du verbe latin augere qui signifie « augmenter », « développer », « rendre plus fort ». C’est toute la beauté du lien entre le professeur et son disciple: Euphorbia guide, rassure, encourage, son ton est « résolu mais sans sévérité » (p.109), elle sait accueillir, approuver les suggestions sans démagogie (p.167), accepter et « positiver » les erreurs, apprendre à travailler en équipe (p.103). Bref, elle sait tirer ses petits commis vers le haut, vers le meilleur d’eux-mêmes. Au point que lorsqu’elle-même sera en difficulté à la fin du récit ses élèves actuels (et anciens) seront à même de la sauver avec les armes qu’elle leur a transmises. La boucle est refermée. On comprend alors que le véritable but d’une éducation réussie est de faire en sorte que s’élabore entre maître et disciples la continuité d’une « amitié » où s’échangent la confiance déférente chez l’un et l’attention, la vigilance ainsi qu’un soutien sans concession chez les autres. Rien n’illustre mieux la transmission de ce legs que la leçon modeste et forte de ce grand petit livre qui me rappelle les mots que Camus adressait à Jean Grenier, son professeur, dans la préface aux Îles: « À la fin, le maître se réjouit lorsque le disciple le quitte et accomplit sa différence, tandis que celui-ci gardera toujours la nostalgie de ce temps où il recevait tout, sachant qu’il ne pourrait jamais rien rendre. »
Dans un temps historique où s’efface une forme d’innocence, dans un présent où il n’est plus question que de menaces et de peur, ce livre est un baume, un viatique pour monde de haute incertitude.
Mademoiselle Euphorbia, maîtresse-pâtissière de Luigi Ballerini (Auteur), Antonin Roza (Illustrations), Christophe Carraud (Traduction), Éditions Conférence, 200 p., 22€, 2016. LRSP (livre reçu en service de presse)
Illustrations: ©Éditions Conférence.
Un livre-baume ? ça ne se refuse pas, en effet. 😉
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Un livre chou comme tout ! Quelle aubaine ! Hihihi ! 😉
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Tiens vous voilà bretonne maintenant!? 😉