Processed with Snapseed.

ferli16Avant hier soir j’étais dans un TGV, gare Montparnasse. Quand je me suis assis, dans l’autre rangée il y avait deux jeunes filles, érythréennes, somaliennes ou quelque chose comme ça, qu’un homme jeune était venu accompagner. J’ai aimé entendre cette langue douce, comme un pépiement d’oiseaux entre deux rires juvéniles. Puis une jeune femme originaire des Antilles est arrivée, s’est installée devant elles et s’est plongée dans un livre. Soudain un type avec un barda invraisemblable de sacs à dos, crête punk, pestant, soufflant et puant s’est affalé dans le carré devant nous, jetant ses sacs sur les banquettes et des regards hagards autour de lui. Le train venait à peine de quitter la gare, qu’il se mit à inonder la voiture de rap tonitruant avec son mp3, comme si l’odeur ne suffisait pas. La jeune femme au livre se leva comme un ressort et lui demanda de baisser le son. Maugréements (et vraisemblablement insultes), la musique s’atténue légèrement puis reprend de plus belle une minute plus tard. La femme attrape son sac et sort de la voiture. Appréhendant un enfer pour le reste du voyage, je lui emboîte le pas et sors aussi. Je m’installe dans la voiture suivante et médite mélancoliquement sur notre époque et ses tristes nocences (ou incivilités en politiquement correct)…
Autour de moi il n’y a que des gens « bien mis ». Pour la plupart des adultes repartant dans leur province après une journée de travail à Paris. Derrière moi un couple chuchote, la conversation porte sur les nouvelles pédagogies, c’est le jour de la rentrée des classes. Tous ont soit un smartphone, une tablette ou un ordinateur portable. Je remarque que leur regard quand il croise le mien est dur, fermé, presque hostile pour quelques-uns. Dès qu’il s’abaisse vers l’écran chaque visage s’illumine d’une expression amusée, concentrée, complice, étonnée, amicale… Bref, il s’humanise et même devient presque beau chez certains. Plus je clique, plus j’aime mon lointain. J’en conclus une fois de plus que la technologie est « charitable » comme l’affirmait Glenn Gould, que l’humanité devient supportable à mesure qu’elle s’isole davantage avec des artefacts.
Alors je repense à mon SDF râlant puant: lui seul, peut-être, avec son regard de bête traquée avait un visage, un authentique visage, un visage et un regard qui lui appartenaient… en propre. Ah Baudelaire, toi qui fuyais la « tyrannie de la face humaine »!

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

Laisser un commentaire

Patrick Corneau