Passant devant cette vitrine et voyant l’abondance de pains campagnards (en plein Paris) fabriqués « à l’ancienne », je n’ai pu m’empêcher de penser à ce texte extraordinaire de Jules Michelet sur le génie national. Selon une sorte de procédé équationnel qui lui est propre, la France n’est pour Michelet rien d’autre qu’une « transformation » de la terre nationale: « le Français mange du pain, le pain est fait de blé, le blé n’est que du silex transformé; donc le Français a la résistance aiguë du caillou » – CQFD.
« L’histoire nous dit toujours comment on meurt, jamais comment on vit.
Cependant chaque peuple a un aliment spécial qui l’engendre jour par jour, si je puis dire, est son créateur quotidien.
Pour les Français, de tout temps, c’est le pain, la soupe. Pour l’Anglais, surtout depuis 1760 et les découvertes de Backwell qui inventa de nouvelles races de bestiaux, l’aliment, c’est surtout la viande.
(…) Chose singulière. La France, après tant d’aventures mortelles, s’étant saignée de tant de sang, n’avait pas trop maigri, et elle offrait de nourrir l’Angleterre.
Celle-ci prétendait que la taille avait baissé en France. Chose possible après Bonaparte. Mais la race y restait plus forte que jamais. Le paysan, peu nourri, disait-on, y suffisait aux plus rudes travaux. On vit là combien le blé est une nourriture substantielle, quoi qu’il ne donne pas comme la viande, l’énergie du moment. Ce blé, au fond, c’est du silex qui s’infiltre dans la plante en fleur et lui donne une consistance, une durée singulière d’alimentation.
La France, qu’on le sache bien, est nourrie de caillou. Ce régime lui donne, par moments, l’étincelle, et dans les os une grande force de résistance. »
Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, t. III: « Waterloo », 1872, préface (p. 14).
Illustrations: photographies ©Lelorgnonmélancolique.
Je retiens l’étincelle, éphémère lumière.