En ces temps où des forces obscurantistes semblent vouloir nous sédentariser de force, nous rendre casaniers contre notre gré, il est urgent (et salubre) de faire l’apologie de la flânerie « le nez au vent » en s’adressant au plus célèbre des piétons de Paris: Léon-Paul Fargue.
« Flâner dans Paris est une occupation plus réelle et plus profonde qu’on ne croit. C’est même une activité qui en vaut une autre et qui remplace avec avantage le travail, le rêve et l’amour. C’est aussi un adjuvant qui possède les vertus obscures et violentes de la poésie baudelairienne.
(…) Quand il exerce assidûment son métier, non pas seulement en France, mais encore outre-mer, en parlant, le flâneur est un homme très précieux, d’abord parce qu’il sait du premier coup où se trouvent à Paris la rue des Longues-Raies ou la Maison des Jeunes Détenus, ce qui fait toujours sensation, mais surtout en raison de ses ressources illimitées en matière de commerce ou de distractions, de gastronomie ou de bohème.
(…) Car le flâneur de profession n’aime rien tant que de faire voir aux autres qu’ils n’ont jamais rien vu dans la ville qui leur a donné le jour ou l’esprit.
(…) De même que la poésie, ou plus exactement la récitation, est, au dire du philosophe, « le seul soutien des esprits enfants qui courent faute de savoir marcher », la pratique de l’automobile le long des bornes et des pancartes des grandes voies, ou parmi les raidillons, bosquets et mares des chemins de grandes communications, aura été une merveilleuse école de mémoire. Il en va de même pour celui qui passe une partie de sa vie le long des quais de la Seine, dans les squares, chez les revendeurs, au gré de sa fantaisie à travers les arrondissements. Nous sommes toujours frappés de l’objectivité imagée, voire abondante, des souvenirs stricts et complets, des observations irréfutables de ceux que leur métier ou leur nonchalance obligent à parcourir en tous sens la République couverte de rues et de routes. Ainsi la vision du monde extérieur s’est développée chez le flâneur comme chez l’automobiliste à mesure que la vitesse et l’impatience semblaient justement les séparer du réel solide et les faire passer en trombe devant ce qui demeure. Tous deux, qui font des kilomètres en se jouant, sont arrivés à des réserves de mémoire sur lesquelles ils peuvent s’appuyer les jours où rien ne va… »
Léon-Paul Fargue et André Beucler, Composite, Gallimard, 2013.
OUI, MAIS… Baudouin de Bodinat avec sa façon incommode d’écarter ménagements et accommodements vient nous décevoir:
« Voyez par exemple comment déjà la tonalité diffère à marcher dans les rues librement sans attaches, ou pareillement en apparence mais avec dans la poche ce boîtier qui peut y vibrer d’un instant à l’autre en localisant où l’on se tient dans le maillage. On conçoit facilement que dans le premier cas la pensée et ses imaginations ont plus la faculté d’aller à leur guise ; que dans le second c’est à la façon de ces enfants dociles à qui leur mère a dit quand ils sortaient jouer: Ne t’éloigne pas trop, que je puisse t’appeler. »
Baudouin de Bodinat, Au fond de la couche gazeuse : 2011-2015, Editions Fario, 2015.
Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.
J’aime beaucoup votre incipit.
Et décidément, Léon-Paul Fargue manquait à ma culture du bon, du vrai.
Merci pour cet éloge de la flânerie qui me comble d’envie d’aller flâner à mon tour.
(en oubliant mon téléphone portable)
belle journée cher ami
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