12278867_10208226437719769_2268741269733559395_nLe terroriste, il regarde

La bombe sautera dans le bar à treize heures vingt. Il n’est maintenant que treize heures seize.
Certains auront le temps de sortir.
Et d’autres d’entrer.

Le terroriste, lui, est déjà de l’autre côté de la rue. Cette distance le préserve du mal,
et puis quelle vue ! Comme au cinéma.

La femme en blouson jaune, elle entre.
L’homme en lunettes noires, il sort.
Les gars en jeans, ils causent.
Treize heures dix-sept et quatre secondes.
Le plus petit, le veinard, il enfourche son scooter,
et le plus grand, il entre.

Treize heures dix-sept et quarante secondes.
La fille, elle arrive un ruban vert dans les cheveux. Seulement il y a un bus qui passe, et on ne la voit plus. Treize heures dix-huit Plus de fille
Est-elle entrée, l’idiote, ou bien non,
on verra quand ils auront sorti les corps.

Treize heures dix-neuf.
Plus personne n’entre.
Il y a juste un gros chauve qui sort.
Mais on dirait qu’il fouille encore dans ses poches et
à treize heures vingt moins dix secondes
il revient chercher ses misérables gants.

Il est treize heures vingt.
Le temps, qu’est-ce qu’il traîne.
Ça doit être maintenant.
Non, pas encore maintenant.
Oui, maintenant.
La bombe, elle saute.
Wisława Szymborska, De la mort sans exagérer, traduit du Polonais par Piotr Kaminski, Fayard, 1996.

ferli13Il faut de tout pour faire un monde, y compris en poésie où l’on peut parler de la mort « sans exagérer »…

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Célestine says:

    Enorme ! Quand on voit que ce texte a été écrit il y a vingt ans…
    je vous souhaite une belle année, cher ami, que nous espérons tous moins sanglante que la précédente, même si l’on n’y croit pas trop.
    Bises célestes
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. Oui, sans y croire… Dans « Interstellar » l’un des cosmonautes fait la remarque très désabusée suivante: « Ce monde est un trésor mais il nous pousse vers la sortie ». Notre Terre en a marre d’être inondée du sang (et autres déjections) de ce parasite qu’est devenue l’humanité… 🙁

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Patrick Corneau