DSC03206Dans son beau livre Le labyrinthe de jardin* Édith de la Héronnière consacre un long passage au labyrinthe du Jardin des Plantes dont elle retrace l’histoire mouvementée dans un chapitre intitulé « Éros labyrinthique ».DSC03204
À l’origine, le jardin était un dépotoir qui, à force d’être alimenté, a formé une butte en plein centre de Paris. On y jetait les immondices de la ville et de ses faubourgs. Cette immense déchetterie à ciel ouvert a fini par former la butte Copeau, qui fait partie du domaine que Louis XIV acheta en 1633 pour y constituer son Jardin des Plantes Médicinales.
De son sommet, à cinquante mètres au-dessus du niveau de la Seine, on voyait tout Paris et cela durera, puisqu’en 1727. Aujourd’hui il est difficile d’observer pareil horizon derrière les grandes serres, ni même possible d’imaginer ces « campagnes voisines », devenues bien lointaines du sommet de la butte du Jardin des plantes de Paris, qui portait déjà le nom de « Labyrinthe » en 1597.
Sous Colbert la butte est pratiquement laissée à l’abandon jusqu’à ce que Buffon devienne l’intendant du Jardin du Roi. En 1775, Buffon entreprend des travaux d’aménagement de la butte. Il fait tracer deux rampes et répartir des bancs dans les allées. Au sommet, il fait placer un banc circulaire qui permet d’admirer la belle vue. Mais le public est bien peu respectueux du labyrinthe qui sert de lieux d’aisance. À ce constat désolé, Thoüin apporte des propositions de remèdes, un projet d’embellissement, que Buffon rejette sèchement pour des raisons financières. Pourtant quatre ans plus tard,DSC03197 la butte sera réaménagée sous la direction de l’architecte bourguignon Edme Verniquet et son sommet recevra un kiosque, la célèbre « gloriette de Buffon », qui est l’une des plus anciennes architectures métalliques de notre pays. De forme ronde, en fer revêtu de cuivre, cet élégant édifice fut réalisé dans les années 1780. Au sommet de sa lanterne, une sphère armillaire abritait jadis un étonnant dispositif destiné à sonner chaque jour l’heure de midi.
A la fin du XVIIIe siècle, la butte fut réaménagée, le long de ses palissades furent plantés des arbres de Judée, des mahonias, ses allées furent sablées. Le cèdre du Liban, planté par Jussieu en 1734, était dans toute sa splendeur. Sous son ombre majestueuse avait été installé un buste en plâtre de Linné qui connut un sort malheureux en 1794.DSC03198
Le labyrinthe subsiste. Il n’est en fait qu’un simple colimaçon, assez raide à grimper jusqu’à la gloriette. Son allée suit une courbe ascendante entre les haies de buis et d’ifs. Elles sont jalonnées d’essences rares, comme cet érable de Crète (acer orientale) de neuf mètres de haut, mis en place par Tournefort lui-même en 1702. C’est le dernier arbre du Jardin des plantes à perdre ses feuilles à l’arrivée de l’hiver. A côté de lui, un buisson aux feuilles luisantes, un filaire (phillyrea media) appartient à la famille des oléacées. Quelques vieux buis (buxus sempervirens) du premier labyrinthe subsistent. Le chemin ascensionnel laisse à sa droite le monument à Daubenton, ami d’enfance de Buffon et grand connaisseur en matière de bergerie, qui fut le premier directeur du Muséum. Non loin de là, se dresse un vénérable grand chêne (quercus castaneifolia) au port largement étalé au-dessus de la pente.
Rétif de La Bretonne y fit des expériences nettement plus « osées » que celles qu’il relate dans la 112ème nuit de ses Nuits de Paris**:
« Triste, effrayé de tout ce que j’avais entendu la nuit précédente et dans la journée, j’allai chercher une promenade tranquille. L’air m’avait un peu fortifié. Je pris par la rue Saint-Victor, et j’arrivai au Jardin des plantes. Il faisait encore jour. Mais le soleil était couché; la soirée était belle. Je regardai le labyrinthe. Il me prit une envie démesurée d’aller respirer l’air pur, au-dessus de cette éminence. Mais les portes étaient fermées. Un homme du quartier me dit, que les sous-préposés se réservaient cette partie du jardin pour leurs parties fines. Je frémis d’indignation. Je cherchai tant, que je trouvai une petite porte au-dessus des forges, par laquelle j’entrai. Je n’eus pas fait trente pas, que j’entendis parler et rire dans un bosquet. Je m’avançai doucement, et je vis sur le gazon les débris d’une collation copieuse, autour de laquelle étaient couchés, quatre beaux couples d’amants, qui riaient, jasaient… Je l’avouerai, cette joyeuse compagnie m’offrit l’image du bonheur. Je n’en fus point jaloux, je ne fus point de mauvaise humeur. Une réflexion me vint seulement: ‘Ils sont là bienheureux! mais il faut qu’une peine compense ces plaisirs-là? Oh! qu’elle sera grande!’ Je m’éloignai sans bruit. Sur la descente orientale, j’aperçus quelques autres couples, mais séparés. Je ne décrirai pas leurs amusements; ils avaient raison de tenir les portes fermées. J’allai de là sur le monticule vis-à-vis, observant de marcher toujours à couvert. Je vis d’autres sociétés. Enfin je fus aperçu par deux garçons de jardin. Ils vinrent à moi furieux: ‘Comment êtes-vous entré ici?’ ‘Par la porte’. ‘Vous n’êtes pas de la compagnie!’ ‘Non. Vous êtes… Vous êtes des insolents; et taisez-vous, ou je vous ferai voir, que cet endroit doit être ouvert; il ne renferme aucune plante rare, et le Jardin du roi, ne doit pas être l’asile du libertinage’. A ce mot, un de ces sous-préposés, qui faisaient fermer les portes du labyrinthe, s’approcha, me regarda, et ne dit mot. Il fit bien. Je ne sortis pas. Je me promenai ouvertement partout, et je suivis la dernière compagnie. Je vis par la mollesse des sous-préposés à mon égard, qu’ils n’étaient pas autorisés… J’allai chez la Marquise pour la première fois depuis trois mois; je lui racontai ce que je venais de voir, et elle en écrivit à l’intendant du jardin. L’abus dura quelque temps encore; enfin, il a cessé, par les ordres de Buffon. »

* ce billet est largement inspiré de deux ouvrages d’Édith de la Héronnière: Le labyrinthe de jardin ou l’art de l’égarement, chapitre « Eros labyrinthique », Klincksieck (2009) et Le jardin des plantes de Paris, dans Le promeneur de Paris (jardins), Éditions Paris -Musées/Actes Sud (2003).
** Rétif de La Bretonne, Les Nuits de Paris, Gallimard, Folio, « La Cent douzième nuit », p. 153.

Illustrations: ©Lelorgnonmélancolique.

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Patrick Corneau